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récital Soile Isokoski
Kilpinen, Kuuka, Merikanto et Sibelius
Alors que l’Auditorium du Louvre donne carte blanche à Kaija Saariaho dans son cycle sur l’opéra filmé et que l’Opéra national de Paris propose, bientôt, un récital de Topi Lehtipuu, le Musée d’Orsay invite le public à célébrer La Finlande au temps de Sibelius et Gallen-Kallela – c’est-à-dire sous les auspices d’un musicien emblématique et d’un peintre-graveur réputé pour ses tableaux illustrant des épisodes du Kalevala, l’épopée nationale composée par le folkloriste Elias Lönnrot à partir de poésies populaires orales de la mythologie finnoise, recueillies dans la première moitié du XIXe siècle [photo : Automne, 1902]. Magnifique de bout en bout, le présent récital inaugure l’événement côté musique, mettant à l’honneur le soprano Soile Isokoski et son accompagnatrice permanente depuis 1987, Marita Viitasalo. Quatre compositeurs y sont abordés qui puisent matière à mélodies chez les poètes nationaux nés entre 1860 et 1890 – Veikko Antero Koskenniemi et Eino Leino en tête, mais aussi Gustaf Fröding, Hilja Haahti, Aarni Kouta, Larin Kyösti, Eino Tikkanen, etc.
Premier chef d’orchestre permanent à l’Opéra National qu’il contribue à fonder (1911) à l’aube de l’indépendance (1917), Oskar Merikanto (1868-1924) développe de nombreuses activités (pianiste, organiste, critique, pédagogue) parmi lesquelles la composition, dans un style romantique tardif. Dès la première des cinq mélodies données – Ilmattaren laulu (La chanson d’Illmatar), Metsäkyyhkyset (Les tourterelles), Kuin hiipuva hiilos tummentuu (Telle la braise qui s’obscurcit), Öiset tiuvut (Grelots nocturnes), Kun päivä paistaa (Quand le soleil brille) –, le chant se montre lumineux, calme et droit, sans ambitus notable, qui met à jour une certaine mélancolie associée à la contemplation de l’aube, du soleil consolateur ou d’un feu nocturne, laquelle renvoit l’homme à sa fragilité.
Victime d’un combat de rue lors de la guerre civile, Toivo Kuuka (1883-1918) s’éteint trop tôt, en regard des pièces entendues ce soir, empreintes d’un impressionnisme délicat : Jääkukkia (Fleurs de givre) passe d’une douleur contenue à un constat déchirant, Sinipiika (La nymphe des forêts) entraîne le tendre mystère inaugural vers la nostalgie, Marjatan laulu (La chanson de Marjatta) parle avec gravité et douleur d’un enfançon confié à la glace, Suutelo (Baiser) invite le piano à de nombreuses pauses aux notes suspendues, tandis que Purjein Kuutamolla (Le voile au clair de lune) retrouve la figure de la nymphe. Pour cette deuxième étape, le soprano séduit par des attaques nettes et les nuances apportées – la thématique de l’humain fébrile s’affirmant face à celle d’une nature immuable.
Critique et professeur lui aussi, Yrjö Kilpinen (1892-1959) se consacre bientôt à la seule composition, léguant à la postérité quelques sept cents mélodies parmi lesquelles soixante-quatre d’après la Kanteletar (recueil de poésies et ballades, pendant au récit épique mentionné plus haut). Ces pièces témoignent d’un style qui unit le Lied classico-romantique européen à la romance nordique (un amalgame qu’apprécia le IIIe Reich). Dans Illalla (Un soir), la voix gagne en velours pour célébrer la triste langueur d’un bouquet de bruyère rappelant la jeunesse perdu, alors que la douleur s’installe franchement pour Rannamta I (Sur la grève), au son d’un glas pianistique, à décrire un caneton perdu, transi de froid. Après Kesäyö (Nuit d’été) qui cherche à faire taire de tristes souvenirs, cette même douleur clôt le cycle avec Maassa marjani makaavi (Mon bien-aimé repose en terre), dans un désarroi poignant.
Yrjö Kilpinen reste un des compositeurs finlandais les plus connus, mais moins que Jean Sibelius (1865-1957), l’aîné d’un programme faisant la part belle à la nostalgie et à l’introspection. Säv säv susa (Roseaux, roseaux, murmurez) dessine d’innocentes vaguelettes avant la révélation d’un drame aquatique, I systrar, I bröder, I älskande par ! (Ô sœurs, ô frères, ô jeunes amoureux !) s’ouvre avec un allant dont on peut logiquement soupçonner l’ironie, Längtan heter min arvedel (La langueur est mon héritage) avance avec une gourmandise de Wanderer pris entre excitation et résignation, Kaiutar (Écho) offre un moment de limpidité et d’insouciance qu’un affolement discret perturbe en son cœur, Men min fågel märks dock icke (Mais mon oiseau tarde à revenir) surprend par sa légèreté et sa douceur liées à un texte sur l’attente, tandis que Flickan kom ifrån sin älsklings möte (La fille revient des bras de son amant) rend compte d’un couperet qui tombe sur un bonheur béat :
« Un jour, elle revint les mains rougies, rougies d’avoir été enlacées par les mains de son amant. Un autre jour, elle revint les lèvres rougies, rougies d’avoir serré les lèvres de son amant. Le dernier jour, elle revint les joues pâlies, pâlies de l’infidélité de son amant ».
LB