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Chroniques
récital Stephen Kovacevich
Beethoven et Schubert
Faire de l'espace limité d'un récital la rencontre de ces deux quasi-contemporains que furent Ludwig van Beethoven (1770-1827) et Franz Schubert (1797-1828) n'est pas tâche facile. Si leurs morts se suivent de peu, près de trente ans les séparent, et plus encore une révolution dans l'esthétique européenne. Si l'assurance formelle du classicisme résonne encore dans la musique du premier, l'incertitude inquiète du romantisme traverse déjà celle du second. En consacrant la première partie de son récital à la Sonate (n°17) en ré mineur Op.31 n°2 « La tempête » et à la Sonate en la majeur Op.101 n°28 de Beethoven, et la seconde à ce monument de la littérature pianistique qu'est la Sonate en si bémol majeur D.960 de Schubert, Stephen Kovacevich pouvait-il offrir autre chose qu'une soirée en demi-teinte ?
Tout de go, les deux sonates beethovéniennes déçoivent. À l'exception des mouvements lents, installés dans un beau recueillement, on retient de l'ensemble de cette première partie de concert une succession de mignardises passagères et de violences factices, entrecoupée de transitions « honnêtes ». Sourd par excès de résonances ou au contraire rendu désagréablement adamantin par un martèlement excessif privé du soutien de la pédale, le son ne vient jamais en appui à un jeu qui semble habité par une autre musique que celle ici jouée. Cela dit, quelques passages viennent çà et là redonner un peu d'intérêt à l'interprétation – narration plus assurée dans le premier mouvement de l'opus 101 (plus convaincante dans l'ensemble que l'Op.31 n°2) et beau son d'orgue en début de dernier mouvement de la même.
Tout autre est l'impression retirée de la seconde partie. Le jeu qui nous gêna tant dans Beethoven s'accorde fort justement à l'atmosphère schubertienne. Sans être l'une des plus originales que nous ayons entendues, l'interprétation de la D.960 est assurément de belle facture. Le chant lointain du thème du premier mouvement, habité d'un rubato bienvenu dans sa légèreté, se déploie en contrepoint de roulements de basses, certes parfois un peu sourds mais rendus plus dramatiques par la poursuite de leurs résonances dans le creux des silences conclusifs, très justement prolongés. Jamais précieux – absence de perlés dans les traits qui les permettraient, par exemple – le jeu fait montre d'une parfaite maîtrise de la rhétorique schubertienne, toute traversée de ruptures.
Le deuxième mouvement est lumineusement tragique. Le rythme en demeure soutenu – Andante sostenuto plutôt qu'Andante, voire Grave, comme on peut l'entendre parfois. Dans la simplicité avec laquelle est présenté le premier thème, dans l'ostinato sans emphase des octaves qui le soutiennent, sonne quelque chose de définitif que ne calme pas la seconde période du mouvement, servie par une main droite légère qui en dessine le chant comme un souvenir sans espoir. Dans un très lointain et discret lamento des octaves, la reprise referme cette fort belle page d'une tranquillité sans autre perspective que son extinction. Du troisième mouvement, agréablement allègre, regrettons peut-être un excès de rubato sur leTrio, qui en transforme en saccades les syncopes. Le dernier mouvement achève dans une belle présence le récital, confirmant l'attention du pianiste au chant et aux contrastes de cette musique.
MD