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Chroniques
récital Tatiana Vassilieva
œuvres de Bach, Dutilleux, Kodály et Ysaÿe
Un phénomène ! C'est ainsi qu'on pourrait qualifier cette jeune Russe de vingt-huit ans. Faisant preuve d'une grande virtuosité, Tatiana Vassilieva enchaîne les morceaux avec vigueur et vélocité. Le corps est extraordinairement écartelé, faisant penser à une immense araignée, pourrait-on dire : les longs bras conduisent l'archet dans des mouvements d'une ampleur inhabituelle, les jambes sont très écartées, tout va dans le sens de la largeur, sans raideur ni artifice.
Le programme de ce samedi est copieux : une Suite de Bach, la Sonate d'Ysaÿe et celle de Kodály, œuvres difficiles introduites par trois petites pièces de Dutilleux. Dès le début du récital, on est saisi par l'intensité déjà conférée aux Strophes sur le nom de Sacher du compositeur français, écrites en 1976. Mais ce n'est qu'avec les « pièces de résistance » que l'on peut juger du talent de l'artiste.
La violoncelliste présente une Suite en sol majeur BWV 1007 n°1 de Johann Sebastian Bach singulièrement dépoussiérée. Jouant avec beaucoup d'allant, dans une grande rapidité d'exécution (en particulier la Sarabande) mais sans aucune lourdeur, son corps danse littéralement avec l'instrument, dans un legato confondant. Tout au plus note-t-on, à une ou deux reprises, un inesthétique grincement de corde, mais ce n'est sans doute pas étonnant au regard du tempo. Difficile d’adhérer à ce choix de lecture pour une musique aussi méditative, mais comme c'est rafraîchissant !
Vient ensuite la Sonate en ut mineur Op.28 d'Eugène Ysaÿe, en quatre mouvements. Peu connue, bien qu'écrite par le fameux violoniste belge et fondateur du Concours Reine Élisabeth, elle offre des sonorités orientales très caractéristiques, surtout dans les deux premiers épisodes aux multiples voix et aux vibrati mélodieux. Il reste que l'interprétation en est redoutable techniquement, tout en requérant une puissance de jeu que fournit notre soliste, notamment au prix d'amples expirations, comme un écho qui dépasserait les limites physiques de l’instrument.
Sans conteste, le clou du concert surgit après la pause avec la Sonate Op.8 de Zoltán Kodály. Le programme est, nous dit-on, « construit autour » de cette page, œuvre-charnière entreclassique et moderne, aux yeux de Tatiana Vassilieva. En fait, c'est un véritable tour de force technique où la musicienne fait preuve d'une maîtrise époustouflante. Si l’on se souvient de son enregistrement, qu’il y a quelques mois notre rédaction saluait d’une Anaclase! [lire notre critique CD], le concert donne à voir l'incroyable concentration dont elle est capable. On pourrait parler d'un dialogue entre deux voix, rendu par une extrême dissociation entre les différents doigts de la main gauche, mêlant toutes les possibilités de l'instrument en termes de pincements et pizzicati associés à de multiples vibrati et des harmoniques parfois directement inspirées de pièces plus classiques. Les sons s'apparentent souvent au violon et à la guitare, ce qui ajoute encore à la dynamique de l'ensemble. Pour autant, on peut difficilement dire que le résultat d'ensemble soit mélodieux – est-ce le but recherché par le compositeur ?
À l'issue de ce déjà beau moment de musique, on ne peut s'empêcher de penser que l'artiste en est encore au stade de la démonstration de son grand talent ; aussi a-t-on hâte d'entendre ce que cela donnera avec la maturité.
CA