Chroniques

par laure dautriche

récital Truls Mørk

Théâtre de la Ville, Paris
- 29 avril 2006
Le violoncelliste Truls Mørk
© dr

« On l’attendait depuis vingt ans ! » s’exclame un homme face à l’affiche. La présence en France du violoncelliste Truls Mørk est un événement. En 1982, il fait ses débuts en remportant le très convoité Concours Tchaïkovski de Moscou. Vingt ans plus tard,demandé sur la plupart des scènes internationales, le soliste norvégien devenu le plus célèbre étonne par son incroyable maîtrise. On regrettera toutefois son manque d’originalité dans l’interprétation de certaines œuvres. Ce grand homme d’un mètre quatre-vingt dix s’impose immédiatement par la pureté du jeu. Sa technique impeccable en fait pâlir plus d’un. Il présente un programme varié d’œuvres du XIXe siècle, avec des figures incontournables de l’âge d’or du romantisme, comme Brahms, Schumann et Chopin.

Quelle aisance dès les premières notes de la Sonate en mi mineur pour violoncelle et piano Op.38 n°1 de Johannes Brahms ! Noblesse, lyrisme et passion se succèdent dans l’Allegro initial, et l’envoûtant premier thème prend un sens différent à chacune de ses apparitions. Truls Mørk donne une saveur particulière à chaque note. Plein de conviction dans cette oeuvre légendaire du répertoire, il conduit parfaitement son discours. Son interprétation réserve même quelques agréables surprises. Le mouvement suivant mêle un menuet puis un trio, vif et plein de grâce sous son archet léger.

Dans les trois Fantasiestücke Op.73 deRobert Schumann, l’extrême sensibilité des musiciens fait plaisir à voir. Tendresse et fougue se succèdent sans aucune démonstration de virtuosité. Le violoncelle sonne brillant et majestueux, avec un vibrato énergique sans inconfort. La pianiste reste parfois trop effacée, mais à l’écoute l’un de l’autre, les deux chambristes touchent par leur élégance et leur naturel.

Avec Pohádka, c’est en un univers onirique et mystérieux que les deux instruments dialoguent. L'histoire du conte de fées, basée sur une légende slave d'après un poème de Vassili Andreïevitch Joukovski, est la source d'inspiration de Leoš Janáček. Les pizzicati du violoncelle répondent aux accords légers du piano, l’archet sur la touche fait résonner les sons comme un écho. Le jeu imaginatif de Kathryn Stott et la finesse de Truls Mørk mettent en évidence les sonorités slaves de la pièce. Dans un esprit tour à tour inquiet, fiévreux ou apaisé, ils diversifient timbres et lumières. Leur jeu est évocateur et suscite l’imagination de l’auditeur.

La deuxième partie du concert s’avère moins convaincante.
Dans la Sonate en sol mineur Op.65 de Frédéric Chopin, on regrette un manque de relief de la part du violoncelliste, malgré la délicate fraîcheur du jeu. Des arpèges fortissimo qui s’étalent sur tout le clavier à la douceur intériorisée du mouvement lent confiée au violoncelle, Chopin travaille sur les divers registres des instruments pour traduire les sentiments les plus variés. Pourtant, les deux complices ne mettent pas toujours en valeur cette diversité. Souhaitant peut-être respecter le souci d’ordre, d’équilibre et de rigueur du compositeur, Truls Mørk semble parfois manquer de courage en ne risquant pas l’originalité. Impressionnant de maîtrise pour certains, conformiste pour d’autres, il n’en reste pas moins un maître de son instrument à la remarquable carrière, et dont les professionnels ne cessent de se faire l’écho.

LD