Chroniques

par bruno serrou

récital Wilhem Latchoumia
inventif dans Archipel IV de Boucourechliev

Festival Messiaen au Pays de la Meije / Église de La Grave
- 3 août 2010
le pianiste Wilhem Latchoumia joue Boucourechliev au festival Messiaen
© dr

Premier Prix du Concours d’Orléans 2006 après avoir suivi les master classes d’Yvonne Loriod et de Pierre-Laurent Aimard, Wilhem Latchoumia est l’un des pianistes les plus engagés dans la musique de notre temps. Le programme copieux qu’il propose au Festival Messiaen au Pays de La Meije met judicieusement en résonnance Debussy, Messiaen et Boulez, et se conclut non pas sur l’arrangement d’Eduard Steuermann (1892-1964) de la Kammersinfonie Op.9 de Schönberg annoncée mais sur l’un des Archipels d’André Boucourechliev (1925-1997), présentant ainsi deux œuvres ouvertes, avec la Sonate n°3 de Pierre Boulez.

Composé en 1964 et resté inédit du vivant de son auteur, le Prélude pour piano de Messiaen apparait, sous les doigts de Latchoumia, trop sonore et monolithique, le pianiste gommant nuances et affects, plaquant les accords sans les laisser résonner et ne ménageant aucune transition entre les nuances pianissimo et fortissimo. Le même phénomène se produit dans Le Merle de Roche, extrait du sixième libre du Catalogue d’Oiseaux (1956-1958), où en sus l’on sent une certaine crispation dans le jeu, comme si l’artiste n’était pas sûr de lui. Dans les Six Epigraphes antiques de Debussy, il fait un usage surprenant de la pédale, édulcorant en outre tout sentiment d’encrage dans les temps anciens ; mais l’ensemble paraît solide et charpenté.

Œuvre spéculative dans laquelle Pierre Boulez s’essaie à l’aléatoire… contrôlé, la Sonate n°3 (1955-1957), restée inachevée puisque seuls deux des cinq mouvements prévus sont composés, est d’une difficulté extrême, surtout dans son formant le plus conceptuel, celui doté du numéro 3 intitulé Constellation-Miroir, l’une des premières pages ouvertes aux côté de la Klavierstück XI de Stockhausen. En réaction aux techniques de composition aléatoire chères à John Cage, auquel il reproche l’usage peu contraignant d’un hasard « par inadvertance », a-t-il rappelé durant le colloque de jeudi, Boulez introduisit une part de hasard clairement plus contrôlé en laissant à l'interprète le choix de jouer ou non certains fragments, ou de changer leur ordonnancement, influencé en cela par la typographie particulière du poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard et du Livre de Stéphane Mallarmé. Ainsi, cette sonate ne renvoie qu'à elle-même et exige du pianiste à la fois précision et distanciation. Ce que ne réussit pas Wilhem Latchoumia qui en donne une lecture trop contractée sans mettre en relief ses diverses strates.

En revanche, Archipel IV de Boucourechliev, autre œuvre ouverte, mais de façon plus systématique et moins contrôlée que celle de Boulez, met en avant les qualités intrinsèques du jeu de l’artiste. La partition – une très grande feuille –, présente quatorze matériaux bruts de hauteurs et cent onze schémas. Déployées, ces hauteurs suscitent des intervalles définis par le compositeur. Quantité de schémas commandent la fusion des matériaux, qui dessinent eux-mêmes des lignes mélodiques les apparentant et les distinguant à la fois. Wilhem Latchoumia apparaît ici moins contraint, plus inventif, d’un jeu plus diversifié et coloré. En bis, une courte pièce de Henry Cowell (1897-1965) sollicite la résonnance du piano, avec ses nombreux clusters des avant-bras.

BS