Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Xavier Phillips
Benjamin Britten | Suites pour violoncelle

Printemps des arts de Monte-Carlo / Église Saint Michel, La Turbie
- 9 avril 2015
à Monaco, intégrale des Suites pour violoncelle de Britten par Xavier Phillips
© céline nieszawer

Habitude est désormais prise de retrouver chaque année ce festival hors normes qu’est le Printemps des arts de Monte-Carlo, dont les quatre week-ends de l’édition 2015 invitent cette fois à explorer le vaste cursus symphonique de Jean Sibelius, la musique de Franco Donatoni, malheureusement fort peu jouée depuis la disparition du compositeur (il y a bientôt quinze ans), enfin de nombreuses pages de Bach, véritable fil conducteur depuis l’ouverture du 20 mars – ces trois dernièressemaines, Johannes Passion, sonates instrumentales, odes et cantates, Das wohltemperierte Klavier, Französische Suiten, Goldberg-Variationen, concerti etKunst der Fuge font le bonheur des mélomanes.

Les quatre jours de clôture poursuivent l’articulation programmatique précédemment initiée, à savoir Sibelius le grand compositeur finlandais, Les grands violoncellistes, Le grand Bach, enfin Bach et les autres qui croise l’œuvre du cantor à celles de nos contemporains (Baba, Bayle, Nouno, Pesson, Schöllhorn et Xenakis). En ce qu’elle se concentre sur des moments chambristes, ce qui demeure plutôt rare dans le faste de rigueur d’un festival, notre présence revêt un jour relativement atypique.

S’il put à plusieurs reprises intégrer l’une ou l’autre des trois Suites pour violoncelle de Benjamin Britten à des menus plus attendus, peut-être avec un opus du répertoire et la fameuse Sonate Op.8 de Zoltán Kodály, Xavier Phillips n’eut jusqu’à ce jour jamais l’occasion d’en donner l’intégralité en un seul soir. Encore une fois, Marc Monnet, directeur du Printemps des arts de Monte-Carlo [lire notre dossier], frappe juste en donnant à un interprète passionné la chance de les faire entendre dans cette belle cohérence à un public tout aussi chanceux, il faut le dire. Écrites entre 1964 et 1971 à la demande de Mstislav Rostropovitch, ces œuvres forment un cycle dont s’impose la pertinence.

Dans le charmant petit sanctuaire de Spinelli – à La Turbie, sur le territoire français… pour ne pas dire niçois –, Xavier Phillips présente succinctement la démarche de Britten, l’amitié avec le soliste russe à l’origine de ces pièces, et conte même une anecdote assez drôle qui expliquerait comment le musicien britannique, renâclant depuis plusieurs années à réaliser sa promesse, s’en acquitta finalement. Après quoi, le Canto primo de la Suite en sol majeur Op.72 n°1 (1964) saisit l’écoute derechef, grande élégie puissamment portée. À la joueuse Fuga succède un poignant Lamento, mélancoliquement invasif sous cet archet. En partie médiane, la Serenata bondit allègrement jusqu’à une Marcia « sifflée » en harmoniques sur des battues col legno, pour commencer ; elle s’achève dans une scansion incisive, copieusement vibrée, que conclut une énigmatique réminiscence. On admire la précision du jeu, l’autorité de l’inspiration, la présence à chaque détail d’une interprétation particulièrement convaincante, sentiment confirmé par le folklore imaginaire du Bordone, point trop appuyé, d’ailleurs, et le contraste véloce de la dernière partie, Presto.

Trois ans plus tard naquit la Suite pour violoncelle en ré majeur Op.80 n°2. Au service de ses cinq mouvements, Xavier Phillips convoque une pâte généreuse et fluide, prégnante dans le Declamato d’ouverture. Après une Fuga parfaitement maîtrisée quoique semée d’embuches, tant pour les intervalles que pour les harmoniques et autres effets, nous goûtons un Scherzo mafflu, un rien farouche, même. Sur les pizz’ en cloche de l’Andante se pose une âpre mélopée, qui interroge le mouvement central du Concerto nach Italienischem Gusto de Bach, une parentèle avec Chostakovitch, mais encore une chimère qu’on pourrait croire orientalisante ; notre violoncelliste conjuguent savamment ces divers aspects. De même éclaire-t-il les plans et répons de la tendre Ciaccona, jusqu’à inventer l’illusion d’un ensemble instrumental pour rendre cette écriture qu’on osera dire géniale.

Aldeburgh, 21 décembre 1974. Rostropovitch crée la Suite en ut mineur Op.87 n°3 (1971) de Britten, la seule des trois qu’il n’enregistrera pas. De cette œuvre testamentaire, construite à partir de mélodies russes populaires livrés au compositeur par le violoncelliste, et d’une hymne funèbre orthodoxe, Xavier Phillips dépose en grande délicatesse le thrène introductif ténu, le curieux simulacre de Marcia… et ainsi de suite jusqu’à la bienheureuse Passacaglia, tour à tour déploration et révolution, où le surgissement du matériau thématique brut, dénudé, fait un effet de lumière sereine qui dédramatise l’adieu recueilli – la vie continue…

BB