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Chroniques
récitals Racha Arodaky et Roustem Saitkoulov
œuvres d’Arenski, Chopin, Mendelssohn, Scarlatti et Schumann
Comme tous les ans, la Société Chopin de Paris investit durant un mois l'Orangerie de Bagatelle pour le Festival Chopin dont cette vingt-deuxième édition se concentre sur les Études. Ouvert il y a une semaine par neuf jeunes pianistes qui se succédèrent au piano pendant l'après-midi du samedi, puis par le récital d'Idil Biret en soirée, l'événement reçoit ce week-end Pascal Amoyel, Racha Arodaky et Roustem Saitkoulov : nous assistons aux récitals de ces deux artistes.
Racha Arodaky fut élève de Dominique Merlet, Evgueni Malinine et Murray Perahia. Son programme de samedi commence par une sélection de cinq sonates parmi l'invraisemblable production de Domenico Scarlatti. On apprécie son travail d'ornementation tout au long des exécutions qu’elle en livre, la Sonate en ré mineur K.1 s'avérant particulièrement nuancée et celle en si bémol majeur K.551 effleurée d'un toucher d'une grande délicatesse. En revanche, une relative nervosité vient perturber le jeu de la Sonate en la mineur K.54, de même qu'une pédalisation étrangement irréfléchie. L'interprétation de la Sonate en sol majeur K.427 révèle assez rapidement des limites, la musicienne empruntant systématiquement le même parcours de nuances, de frappes, d'ornementation et de dynamique, alors que, sans aller jusqu'à transformer ces pages en fantaisies, il n'y est certes pas déconseiller d'inventer.
La lecture de la Sonate en la majeur K.24 omet de considérer les contraintes formelles de l'œuvre, donnant trop d'importance à certains motifs d'introduction ou de transition, comme si la pensée musicale était laissée pour compte. C'est d'autant dommage que la pianiste affirme par ailleurs de grandes qualités et qu'il ne faudrait sans doute pas grand'chose pour que son art atteigne une dimension plus élevée. Dans les Nocturnes Op.9 n°1 et n°2 de Chopin, on apprécie le grand soin apporté aux différentes frappes, mais l'exécution reste lisse.
Racha Arodaky révèle un chant somptueusement porté dans l'Étude en si bémol mineur Op.104 n°1 de Mendelssohn. Là, tout ce que l'écouter de ce qui précéda n’invitait guère à espérer trouve la maturité nécessaire. Retour à Chopin avec l'Étude en fa mineur Op.25 n°2 dans une approche satisfaisante, sans plus, la pianiste se montrant même brutale dans l'Étude en ut mineur Op.10 n°12. C'est avec Kreisleriana Op.16 de Schumann, gentiment articulé, qu'elle prend congé.
Vendredi soir, nous entendions Roustem Saitkoulov [photo] dans un programme généreux. Ce pianiste est né à Kazan il y a une trentaine d'années ; il fut l’élève d’Elisso Virssaladze avant que de nombreuses récompenses et distinctions viennent saluer son jeu, parmi lesquelles les prix des concours Ferruccio Busoni, Géza Anda, Marguerite Long, Monte-Carlo, Rome et Pretoria. Dès la première des Quatre études Op.41 d’Anton Arenski, compositeur rarement joué, l'extrême souplesse de son jeu frappe l'auditoire. La seconde montre un grand sens de la polyphonie et un art certain de la couleur, le pianiste caractérisant les motifs et différentiant habilement les plans sonores, avec une articulation d'une étonnante légèreté, tandis que la suivante affirme son agilité hors du commun. Indéniablement, Saitkoulov possède une frappe imparable, fine et ferme, que les Préludes Op.63 n°11 et n°12 ne désavouent pas, tout en prouvant d’une grande richesse de sonorité et d’un lyrisme contenu, dans une fluidité fascinante.
Avec Carnaval Op.9 de Schumann, le musicien dessine décors et paysages où raconter des histoires, mordant le clavier du Préambule tout en suggérant un Arlequin grotesque à souhait, un Florestan fantasque, un Eusebius poseur de questions, dans une interprétation raffinée à l'expressivité discrète.
Après l'entracte, Roustem Saitkoulov rend un bel hommage à Chopin. Il fait mouche dans l'Étude Op.10 n°1 avec une opulence sonore stupéfiante. Dans la Berceuse Op.57, l’agilité va de soi, le jeu se concentrant davantage sur le caractère méditatif. Le public ne bouge ni ne bronche : chacun est suspendu à l'exquise rondeur du chant. Pour finir, le pianiste russe donne une sensible et magistrale Sonate en si mineur n°3 Op.58 qu'il initie par un Allegro maestoso d'une profondeur inouïe dans une couleur pré-impressionniste. Le legato de la mélodie centrale du Scherzo bénéficie d'un phrasé excellent, avec une liberté quasi recitativo, révélant soudain une vision plus personnelle. De même Saitkoulov offre-t-il un Largo délicieusement belcantiste sans perdre de vue une relative gravité, puis un Presto magnifiquement architecturé.
BB