Chroniques

par bruno serrou

Répons de Pierre Boulez
Ensemble Intercontemporain dirigé par Susanna Mälkki

Cité de la Musique, Paris
- 15 avril 2010
© dr

Une fois n’est pas coutume pour l’Ensemble Intercontemporain : Pierre Boulez ne dirigeait pas l’un de ses opus, se contentant d’assister en simple spectateur à son exécution, au milieu d’un public venu nombreux écouter Répons, ce chef-d’œuvre pour six solistes, ensemble de chambre, sons électroniques et électronique en direct. C’était pourtant bel et bien l’ensemble qu’il a fondé en 1976 et pour lequel il a composé cette somptueuse partition qui se trouvait au centre de la salle modulable de la Cité de la Musique. Le concert était placé sous la houlette de l’actuelle directrice musicale de l’EIC, Susanna Mälkki, qui est ainsi devenue la première femme à diriger cette partition phare née dans les années 1980 à l’Ircam dont elle est devenue l’un des symboles.

En effet, la genèse de Répons a commencé en 1979, avec l’arrivée dans les murs de l’Ircam de la fameuse 4X, premier ordinateur conçu pour la musique avec transformation du son en temps réel. Ceux qui ont assisté aux premières exécutions de l’œuvre, aujourd’hui encore en gestation, se souviennent du gigantisme de ce premier ordinateur qu’on déplaçait dans un énorme camion et qui demandait des heures de montage – tandis qu’aujourd’hui, un simple ordinateur portable y suffit.

Réponsest le fruit d’une commande du Südwestfunk de Baden-Baden pour le Festival de Donaueschingen où il a été créé le 18 octobre 1981, sous la direction du compositeur. L’œuvre est dédiée à Alfred Schlee, longtemps directeur des Editions Universal de Vienne, pour son 80ème anniversaire. Elle contient également un hommage au mécène Paul Sacher dont Boulez utilise les lettres du nom comme partie du matériau sonore. Le titre fait référence au répons de la musique religieuse médiévale dont l’auteur reprend l'idée de prolifération, à partir d'un élément simple, et de dialogues entre jeu individuel – les six instruments solistes (deux pianos, harpe, xylophone, vibraphone, cymbalum) répartis au-dessus du public et autour de l’ensemble et spatialisés par l’informatique en temps réel à travers six haut-parleurs – et jeu collectif – l’ensemble instrumental (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes et clarinette basse, deux bassons, deux cors, deux trompettes, deux trombones, un tuba, trois violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse), uniquement acoustique.

Deux autres états de la partition ont suivi : une version élargie, créée à Londres en 1982, et une deuxième version créée à Turin en 1984. Répons reste à ce jour inachevé, un inachèvement relatif cependant, car lorsqu’on lui parle de sa partition, Pierre Boulez évoque la spirale, à la fois close et achevée, toujours en évolution.

Comme c’est souvent le cas, l’œuvre a été donnée deux fois lors de ce concert, afin de permettre au public une approche depuis différentes places, les sensations d’écoute étant distinctes selon l’endroit où l’auditeur est situé. Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain jouent cette musique avec un plaisir évident, profitant des riches résonances des claviers et de la virtuosité lumineuse des instruments acoustiques qui exaltent une sensualité inouïe, au point de faire abstraction de la direction crispée de Susanna Mälkki, à la gestique sèche et ne quittant guère son conducteur des yeux. Les sensations de plénitude et de joie sonore se sont néanmoins imposées. L’on aurait aimé écouter une troisième fois cette pièce sans équivalent dans l’histoire de la musique.

BS