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Chroniques
Radio France célèbre Evgueni Svetlanov
Berezovski, Kniazev, Korobeïnikov, Makhtin et Repin
En marge du quatrième Concours international de chefs d’orchestre Evgueni Svetlanov, Radio France propose un concert en hommage à un maître qui, de 1965 à 2000, fut directeur artistique de l’Orchestre Symphonique d’État de l’URSS (Государственный академический симфонический оркестр СССР) – actuel Orchestre symphonique de la fédération de Russie (Государственный академический симфонический оркестр России) –, au sortir d’une décennie au Bolchoï qu’il connaissait bien puisque ce fils de cantatrice y incarna celui de Cio-Cio-San en 1933, à l’âge de cinq ans. Jubilons qu’il ait lieu dans une des meilleures acoustiques parisiennes… comme le rappelle le bruit sec d’un crin d’archet arraché, au cours de la première partie chambriste !
En 2003, quelques mois après la mort de l’idole des musiciens (dixit Tikhon Khrennikov), un concert moscovite fêtait son soixante-quinzième anniversaire avec un programme Medtner et Rachmaninov. Boris Berezovski était déjà présent, que l’on retrouve aujourd’hui dans la Sonate en la mineur n°10 Op.38 n°1 « Réminiscence » (1922) ouvrant le cycle des Mélodies oubliées. C’est une des dernières pièces écrites par Nikolaï Medtner (1880-1951) avant son départ pour les États-Unis. Elle est ici abordée avec une frappe délicate, presque effacée. Très vite, ce quart d’heure musical s’affirme par des gambades et des foisonnements parfois lyriques, qui confirment l’influence de Brahms et de Scriabine, sans renoncer pourtant à des allégements d’une certaine noblesse. Plus que l’œuvre elle-même, c’est l’approche de Berezovski, sa conviction à en nuancer le climat, qui retiennent l’attention.
À l’Académie Gnessine, Svetlanov étudie le piano avec Maria Gurvich, une élève de Medtner qui lui transmet sa passion pour ce conservateur des « lois sacrées de l'Art éternel », jusqu’à obtenir un très bon niveau. Ainsi peut-il jouer le Trio élégiaque Op.9 n°2 (1894 /1917) avec Oïstrakh et Rostropovitch, Kogan et Luzanov. Initiée à la mort de Tchaïkovski, l’œuvre bénéficie de l’attention complète de Sergueï Rachmaninov (1873-1943) durant cinq semaines, mais subit plusieurs améliorations par la suite. Dès les premiers instants, violoncelle et violon unissent une douleur d’autant plus limpide qu’elle naît sous les doigts d’Alexandre Kniazev et Dmitri Makhtin – dernier descendant de l’école Auer. Plus tard, les nombreux soli du cadet de la soirée, Andreï Korobeïnikov [lire nos chroniques du 10 juillet 2012 et 11 mars 2010], confirment le soin d’une exécution mémorable.
Découvrons maintenant Svetlanov compositeur (1928-2002), après l’entracte passé sous le regard d’un Booba en casquette Nike – à la maison ronde, l’exposition de portraits Le visage du rap a-t-elle reçu des sous de l’équipementier esclavagiste ?... Soumis au besoin de créer, l’ancien élève de Chaporine assume l’héritage néoromantique incarné, notamment, par Mahler, son symphoniste préféré. Dans Poème pour violon et orchestre (1975), un délicat crescendo de violoncelles annonce d’autres cordes lumineuses, des cuivres quasi rituels. Andris Poga conduit l’Orchestre Philharmonique de Radio France avec mélancolie et recueillement, tandis que Vadim Repin apparait aussi affuté de jeu que de silhouette, Stradivarius 1733 en main. Son principal solo, riche en émotions, confirme la place de ce virtuose dans le cœur du public et de la critique.
Vainqueur du concours évoqué plus haut (2010), désormais à la tête d’une des principales formations de Lettonie [lire notre chronique du 26 janvier 2017], Poga enchante également avec l’ouverture-fantaisie de Piotr Tchaïkovski (1840-1893), Roméo et Juliette (Ромео и Джульетта, 1870/1886), elle aussi remaniée plusieurs fois. Sa lecture fait grand cas de la couleur de chaque pupitre, de la rondeur de l’ampleur, souvent moelleuse mais jamais niaise, parfois vive sans être électrique.
LB