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Chroniques
Rafał Blechacz
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin
« Choc des Titans » annonce fièrement le programme du concert donné ce soir au Théâtre des Champs-Élysées. Que le lecteur se rassure, il ne s’agit pas d’un affrontement tellurique entre le chef québécois Yannick Nézet-Séguin et le pianiste polonais, chouchou des mélomanes, Rafał Blechacz [photo], mais d’une confrontation Brahms et Tchaïkovski. Au menu, le premier concerto pour piano de Brahms, puis la cinquième symphonie de Tchaïkovski.
La longue introduction symphonique du Concerto en ré mineur Op.15 n°1 laisse perplexe : on ne reconnaît pas la lisibilité et la précision de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam (Rotterdams Philharmonisch Orkest), ici particulièrement poussif et lourd. L’entrée du pianiste est décevante, atone et exsangue. Blechacz, qui manque de justesse, accroche les notes d’un Steinway mal accordé dans le médium. Il confond Brahms, qui nécessite puissance et vigueur, avec un Chopin par trop scolaire et imprécis. Visiblement, orchestre et soliste n’ont pas grand-chose à se dire et ne semblent pas concernés par ce monument qu’est le Premier de Brahms. D’habitude impeccables, les pupitres hollandais sont brouillons. La justesse de l’harmonie n’est pas au rendez-vous, les timbales sont assourdissantes. Tout ce beau monde s’ennuie ferme, malgré la battue du chef qui essaie de réveiller instrumentistes et public.
On a peine à reconnaître Yannick Nézet-Séguin, l’un des plus brillants chefs de la jeune génération, idole du Met, et son RphO qu’il dirige depuis 2008, avec lequel il a enregistré une riche discographie. Après des symphonies de Schumann réussies, ils abordent la musique de Johannes Brahms pour ce concert qui sera capté, à en juger la foule de micros sur scène. On se demande si nous n’assistons pas à une répétition, tant les imperfections sont légions et le projet inabouti. Le pianiste serait-il souffrant ? Il reste étrangement terne et absent. À la fin de cette première partie, le public applaudit poliment les protagonistes. En bis, Rafał Blechacz offre le célébrissime Intermezzo Op.118 n°2 du même Brahms qui ne convainc guère plus.
En seconde partie, nous appréhendons l’exécution de la Symphonie en mi mineur Op.64 n°5 de Piotr Tchaïkovski, qui fait partie du trio des grandes symphonies du compositeur. Nézet-Séguin et la formation rotterdamoise gravèrent déjà une superbe Pathétique. On est d’autant plus impatient de découvrir leur interprétation. Dès les premières notes, on retrouve les qualités et la fougue du chef et le brillant parfait d’un orchestre répondant d’un geste ou d’un regard à ses moindres inflexions. Le Québécois (qui dirige sans partition ce gigantesque chef-d’œuvre) s’engage physiquement dans un projet grandiose et magistral. Il semble qu’aucun détail ne soit laissé au hasard. Il sait à merveille ciseler les mélodies typiquement slaves qui font la richesse de cet opus.
Cette fois, tous les pupitres jouent à la perfection et retrouvent leur justesse en saine communion. Le choix du chef d’enchaîner les quatre mouvements avec à peine de brefs silences resserre encore plus l’œuvre et la consolide de façon cohérente et majestueuse. Il y a une grandeur inimaginable dans la présente vision de cette musique souvent décriée pour sa facilité et son pathos. L’audience est complètement subjuguée ; pour témoin, une salle en délire ovationnant le chef et son orchestre pendant dix bonnes minutes. Ils nous gratifient d’un bis de la même veine, qui prolonge idéalement cette interprétation exceptionnelle : la Polonaise d’Eugène Onéguine.
MS