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Chroniques
Raspoutine
opéra de Jay Reise
Le patronyme de Grigori Raspoutine ayant résonné dans différents sphères populaires ces dernières décennies (tube disco, dessin animé, film fantastique, etc.), il restait à l’opéra d’en faire un rôle-titre. Avant l’ouvrage éponyme de Rautavaara en 2003, celui de Jay Reise, créé au New York City Opera en 1988, reprend les épisodes les plus marquants d’une vie, entre réalité et légende : main mise sur la secte apocalyptique des Khlysty – il combine mysticisme orthodoxe et rites païens –, guérison du Dauphin hémophile, ascendance sur la Tsarine, résistance surhumaine à l’assassinat (poison, arme à feu, etc.). Il y a quelques mois, le compositeur rappelait à Opera Today combien ces faits centenaires sont encore débattus dans la Rus :
« Il y avait une décision de justice à ce sujet alors même que la premièrede l’opéra se déroulait – la mise à mort a été jugée comme un acte politique et la famille du Tsar considérée comme victime du bolchévisme. Bien sûr, Nicolas, Alexandra et leurs enfants ont été canonisés il y a environ trente ans. Il y a d’ailleurs eu une récente campagne d’une faction religieuse pour canoniser Raspoutine et Ivan le terrible qui a échoué ».
Pour faire entendre le chaos historique, Reise (né en 1950) ouvre son opéra sur les cris ésotériques d’une secte pour le clore avec ceux de Lénine exhortant la foule au grand jour ; il alterne musique tonale – représentant l’aristocratie – et atonalité, citant la valse de l’acte I du Lac des cygnes et l’Hymne impérial, s’inspirant d’un foxtrot ou de pages postromantiques. A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Massy, le jeune Konstantin Choudovski fait particulièrement miroiter les chatoiements du deuxième acte, juste après que le personnage principal – quel écueil du livret ! – ait révélé sa vraie nature, en aparté.
Jack-Henri Soumère n’a pas attendu l’année France-Russie pour défendre les ouvrages venus de l’Est et offrir une résidence régulière à l’Opéra Hélikon. Ces dernières années, dans l’institution qu’il dirige, on aura pu découvrir des productions de La fiancé du tsar [lire notre chronique du 7 décembre 2004], de Lady Macbeth de Mzensk [lire notre chronique du 15 mars 2007], ou encore cet Amour des trois oranges donné le mois dernier. Si le travail de Dmitri Bertman n’est jamais totalement convaincant – en particulier par le côté kitsch de ses décors –, il a plutôt réussi la direction d’acteur de cet ouvrage présenté en langue russe à Moscou, en octobre 2008, après quinze ans d’attente et avec des coupures.
On retrouve ici des fidèles de Bertman : les ténors Mikhaïl Seryshev (Iliodor), toujours aussi clair et vaillant, Nikolaï Dorojkine (Nikolaï), sainement corsé, de même que Dmitri Ponomarev (Sokolsky), sonore mais tendu ; Natalia Zagorinskaïa (Alexandra), soprano assez raide jouissant d’aigus lumineux et musclés ; ou encore l’enveloppant Alexeï Tikhomirov (Général Zhévadov). A la différence de ce dernier, Nikolaï Galine (Raspoutine) s’avère une basse instable, fatiguée. Le rôle bref d’Alexandra Kovalevich (Irina) laisse deviner un mezzo ample, tandis que Mikhaïl Davydov (Pavlovitch s’économisant pour le lendemain ?) se montre confidentiel d’un bout à l’autre.
Indéniablement, c’est Vassili Efimov (Youssoupov) qui soutient le spectacle. Elève d’Orlenine, au Chœur de l’Académie de Moscou, de Gorjachkine et Kibkalo, ce ténor fiable et vif, à l’aise dans différents registres (son numéro de cabaret, entouré de danseurs), apporte, par son jeu nuancé, l’humanité dont manque cette galerie de portraits guindés. Dans la même tessiture, enfin, Mikhaïl Verbitski (Smerdski) séduit par une couleur riche et un mordant incisif.
LB