Chroniques

par bertrand bolognesi

Ravel et Roussel par Jacques Mercier
Nicholas Angelich, Orchestre national de Lorraine

Arsenal, Metz
- 19 septembre 2014
à l'Arsenal de Metz, Nicholas Angelich joue le Concerto pour la main gauche
© stéphane de bourgies

À la veille de l’automne, et parallèlement aux Journées européennes du Patrimoine, l’une de nos plus belles acoustiques ouvre sa nouvelle saison avec trois concerts des ensembles en résidence. Ainsi le public messin entendra-t-il dimanche Variances dans la musique de Thierry Pécou [lire notre chronique du 5 avril 2013] et un grand oratorio choral de Händel par Le Concert Lorrain, demain. Quant à l’Orchestre national de Lorraine, il s’illustre ce soir dans un programme qu’il intitule La grande illusion, en écho au centenaire de la Première Guerre mondiale, et transporte l’écoute du mélomane d’aujourd’hui dans ce qu’entre 1911 et 1930 écrivaient deux compositeurs français.

Du marin-musicien Albert Roussel le Châtelet redonnait, il y a quelques années, l’opéra-ballet Padmâvatî dont furent extraites deux suites pour orchestre [lire notre chronique du 20 mars 2008]. De cette œuvre achevée en 1918 et créée en 1923, Jacques Mercier, de tout temps ardent défenseur du répertoire français, donne la Suite Op.18 n°2 qu’il tisse en un précieux taffetas. Il en révèle la riche écriture des timbres, miroitante, la veine orientaliste à la mystérieuse sensualité, rehaussée d’une mélodie tendre et chantournée de trois flûtes. Voilà un début qui promet !

Nicholas Angelich [photo] gagne le plateau pour le Concerto en ré majeur « pour la main gauche » concocté par Maurice Ravel en 1929 pour le pianiste Paul Wittgenstein dont le bras droit était resté au front… Le grave Lento introductif ne déroge pas au désir de couleur qui définit la teneur interprétative de cette belle soirée. Le chef profite de l’efficace onctuosité des vents, superbes, au fil d’un crescendo luxueusement mené. L’artiste étatsunien fait alors une entrée presque organistique, soutenue d’une pédalisation trop lourde. Brutaux, les premiers pas de son approche manquent de la précision nécessaire et accusent une sonorité écrasée qui contredit le raffinement jusque-là constaté. Fort heureusement, le soliste se reprend tôt et livre un Andante soigneux où se laisse entendre le jardin de L’enfant de Colette. Casse-tête chinois et délicates boites à musique ponctuent l’emphase polyphonique du vaste ostinato conclusif de cette exécution soulignant les audaces ravéliennes – à l’œuvre dans les timbres, l’harmonie, les rythmes, partout, saine et jouissive modernité.

Angelich salue le bel accueil qui lui est fait par deux bis : la deuxième des Valses nobles et sentimentales de Ravel (Assez lent), affectée d’un généreux rubato, puis Von fremden Ländern und Menschen, début des Kinderszenen de Robert Schumann, tendre à souhait. Ce sont précisément ces Valses orchestrées par leur auteur en 1912 qu’inscrivit Jacques Mercier en seconde partie de concert. Musclée, sa lecture jamais n’en alanguit l’amble, par-delà une fête inaugurale brillante (Modéré) à l’humour batailleur. À la chaleur du deuxième mouvement succède la ciselure solistique du troisième, puis un Assez animé rondement mené. Épilogue s’impose comme une énigme, jouant admirablement de l’Arsenal lui-même comme d’un instrument au fil de ce chant de la nuit des grenouilles de L’enfant, encore… Sans respirer, le patron de l’ONL enchaîne l’urgent poème symphonique de 1930, La Valse, auquel il instille une élégance un rien goguenarde sans déroger à l’exquise suavité des motifs dansés. Le ralentissement final de la machine ne sera point trop appuyé.

BB