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Chroniques
Re Orso | Roi Ours
opéra de Marco Stroppa
Outre écrire des livrets pour autrui (Catalani, Ponchielli, Verdi) et concevoir ses propres ouvrages lyriques (Mefistofele et l’inachevé Nerone – un sujet repris par Mascagni en 1935), le Padouan Arrigo Boito (1842-1918) livre à des revues des textes variés. En 1864 paraît Re Orso, un poème dramatique envoyé notamment à Victor Hugo, lequel salue un art de combiner « puissamment la poésie philosophique avec la poésie chimérique ». Remaniée plusieurs fois jusqu’en 1902, cette fable symbolique raconte la vie et la mort du Roi Ours qui fait régner la terreur à la cour de Crète, avant l’an mil. Les meurtres gratuits s’enchaînent, les viols et les orgies, jusqu’à ce que le tyran, hanté par le Ver (sursaut de sa conscience incarné par une femme du peuple, libre de tout esprit courtisan), s’effondre sans obtenir une rédemption pourtant chèrement monnayée.
Après Aperghis [lire notre chronique du 12 mai 2010] et Strasnoy [lire notre chronique du 13 décembre 2010], c’est au tour de Marco Stroppa [lire notre entretien] d’offrir une création à l’Opéra Comique. Avec les dramaturges Catherine Ailloud-Nicolas et Giordano Ferrari, il adapte le texte de Boito dont plusieurs caractéristiques l’ont immédiatement séduit. « Tout d’abord sa construction, précise le compositeur, entièrement en vers : s’il n’est pas conçu comme une pièce pour la scène, il est structuré comme une véritable œuvre musicale, avec des motifs et des images revenant à différents endroits, signalés par une structure métrique différente, constamment variée. Ensuite, l’incroyable kaléidoscope de rythmes et de couleurs donné par le choix des mots et les jeux entre les lettres. » De plus, le citoyen engagé qu’est Stroppa ne pouvait qu’apprécier « cette critique acerbe et décomplexée du pouvoir » qui fut dès lors renforcée.
Le metteur en scène Richard Brunel ayant rejoint le trio, la théâtralisation du poème ainsi que des échanges féconds mènent à la légende musicale créée ce soir, pour quatre chanteurs, quatre acteurs, onze instruments, voix et sons invisibles, spatialisation et un totem acoustique déjà présent pour la création de hist whist [lire notre chronique du 17 juin 2009]. Chacun des solistes se voit assigné une danse (tango, sarabande, etc.) et un instrument (basson, alto, etc.), si bien que timbres et rythmes récurrents structurent une partition orchestrale aérée – où dominent aussi la trompette, la contrebasse jazz et l’accordéon – qui prend en compte la présence redoublée de la voix (amplification et transformation, notamment lors des premières interventions mystérieuses de Ver et du lent glissando de la note finale du rôle-titre vers les graves, au moment d’expirer).
Entendu cet hiver dans un ouvrage de Tapio Tuomela [lire notre chronique du 10 décembre 2011], Rodrigo Ferreira (Orso) s’avère un contre-ténor avec du corps et du grave, entouré de partenaires féminines qui jouissent d’une même fiabilité : le mezzo Monica Bacelli (Verme), possédant force, agilité et charisme – que l’on peut retrouver dans les Folk songs de Berio comme dans un intermezzo comique de Pergolesi – et le soprano Marisol Montalvo dont les vocalises d’une grande plénitude disent tout le désarroi d’Oliba. Enfin, le ténor Alexandre Kravets (Trovatore) se montre efficace et touchant, flanqué d’un Disklavier (piano droit en partie robotisé) qui fait écho à sa joie comme à son agonie.
Malgré la présence experte de Susanna Mälkki, à la tête de l’Ensemble Intercontemporain, pour servir une musique foisonnante que l’on pourra réentendre très vite (France Musique, ce lundi 21 mai, à 20h), beaucoup de paramètres font que l’on n’adhère pas entièrement au spectacle : un livret qui propose une caricature de tyran sadique et une morale simpliste, une mise en scène qui ressace les tics du moment (ORSO en lettres électriques, rideau en côte de mailles, comédiens quasi figurants), un humour qui s’évente vite (fausses sonneries de portable dans l’Exorde initial, clins d’œil à Traviata et Zauberflöte), etc.
LB