Chroniques

par laurent bergnach

Reigen | La ronde
opéra de Philippe Boesmans

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 19 février 2009
© franck ferville

Pièce de théâtre parue à compte d’auteur en 1900, La Ronde d’Arthur Schnitzler est mise en scène pour la première fois à Berlin en 1921, et fait scandale par son approche crue de la sexualité humaine, à travers dix dialogues entre un homme et une femme. Si le coït lui-même n’est pas décrit, le spectateur assiste aux préliminaires et à la fin du rendez-vous amoureux d’un couple formé par un nouveau personnage uni à un autre échappé de la scène précédente. Ainsi, la prostituée couche avec le soldat qui dévergonde la femme de chambre qui attire le fils de famille qui séduit une jeune mariée, laquelle retourne – par la force des choses – chez son mari qui voit de son côté une grisette qui fréquente un poète que la cantatrice accepte dans son lit, à l’instar du comte qui se retrouve plus tard dans les draps de la prostituée du début. La boucle est bouclée.

Conservant le titre, le découpage et la langue originale, l’ouvrage de Philippe Boesmans fut créé en Bruxelles le 4 mars 1993. Adapté il y a quelques années par Fabrizio Cassol, c’est une version de Reigen pour ensemble de vingt-deux instruments, déjà connue des Parisiens [lire notre chronique du 12 juin 2004] qui est défendue ce soir par l’Orchestre de Bezztting Speelt, en résonance avec la création mondiale de Yvonne, princesse de Bourgogne [lire notre chronique du 5 février dernier]. À sa tête, Winfried Maczewski fait ressortir la brillance d’une partition suavement contrastée, mais pour un plaisir musical qui touche rarement en profondeur.

De cette ronde qui provoque le tournis, Harry Kupfer a donné une vision qui donne la nausée. Outre une scène trop petite encombrée de satin rougeâtre, peu propice à supporter des solistes figurants, quatre mimes et deux enfants – une idée osée, d’ailleurs, que ces têtes blondes faisant leur apprentissage sentimental proche des couples embrassés –, on se lasse vite d’une succession de tableaux qui hésitent entre crudité et pudeur, entre réalisme mal bricolé – les murs de tissu tendu, qui cachent la chambre du fils à une partie du public ou, pire encore, le surtitrage pendant un bon quart d’heure – et symbolisme de pacotille – conversation téléphonique des époux indifférents.

Heureusement, dans ces pantalons qu’on descend et reboutonne sans fin dans un cliquetis de ceinturon, il y a de solides chanteurs, membres de l’Opera Studio Nederland. Notre préférence va à Fabio Trümpy qui incarne le Fils avec une belle articulation et en souplesse, ainsi qu’à Roger Smeets, Comte de grandes clarté et stabilité. À l’aise avec son corps, le ténor Charles Hens est un Soldat aussi vaillant que Pascal Pittie, Poète au timbre joliment corsé mais parfois agressif. Pierre Mak (Mari) possède une voix large et sonore.

La déception s’ébauche du côté des dames, avec le chant quelque peu restreint de Marijje van Stralen (Jeune Mariée) et celui comme retenu, manquant de projection, de Barbara Kozelj (Femme de chambre). La couleur vocale de Cristina Dietzch (Prostituée) séduit, mais moins que l’évidence, la fermeté et la grande égalité d’expression du mezzo Karin Strobos, attachante Grisette. Enfin, félicitons Daphne Ramakers (cantatrice), soprano lyrique au legato soigné, dont les formes généreuses, partiellement dénudées, amusèrent certains.

LB