Recherche
Chroniques
rencontre inédite Marc Bouchkov
avec Behzod Adburaimov et Narek Hakhnazaryan
Le creuset artistique d’un rendez-vous musical tel que le Verbier Festival and Academy offre l’opportunité de rencontres d’artistes au delà des formations constituées. Si le répertoire chambriste compte, naturellement, parmi les terrains privilégiés de ces affinités nouvelles, la notoriété sert à mettre en valeur un répertoire moins fréquenté sur ces hauteurs valaisannes, comme c’était le cas hier matin avec le récital de Jakub Józef Orliński [lire notre chronique du 26 février 2017]. Après une première partie dévolue aux virtuosités et alanguissements baroques qui façonnèrent sa popularité, le contre-ténor polonais, secondé par le piano complice et docile de Michał Biel, s’attelait à des pages rares venu du pays natal, défendues par un musicien qui ne manque pas d'intelligence, tant dans le style que dans le choix des sources littéraires – Piesńi Kurpiowskie Op.58 (1932) de Karol Szymanowski au lyrisme raffiné, Cztery Sonety miłosne do słów Williama Szekspira (1956) de Tadeusz Baird qui, pendant l’ère communiste, puisait dans la traduction par Maciej Słomczyński des sonnets du dramaturge anglais, enfin Jesień (Automne), première des Trzy Pieśni (1992) de Paweł Lukaszewski, un compositeur (né en 1968) côtoyé par l’interprète pendant ses études à Varsovie. Après Daniel Hope qui choisissait de célébrer, dimanche soir, la musique britannique dans sa pluralité de formats [lire notre chronique de la veille], la présente matinée du lendemain, toujours à l’église, se concentre sur le trio, en un tropisme slave et caucasien, tant dans le programme que l’effectif : Marc Bouchkov au violon, Narek Hakhnazaryan au violoncelle et Behzod Abduraimov pour la partie pianistique.
Le menu s’ouvre avec le Trio pour violon, violoncelle et piano en fa # mineur (1952) d’Arno Babadjanian (1921-1983). La tonalité et la facture de l’œuvre ne dissimulent aucunement une empreinte romantique que les interprètes n’éludent point. Le Largo augural, évoluant vers un tempo robuste et vif, ne manque pas de foisonner, parfois aux confins d’une surcharge altérant l’immédiate lisibilité formelle que la partition ne vise peut-être pas explicitement. L’Andante central s’affirme comme un ressac chromatique dans la véhémence de l’inspiration, où les pupitres dialoguent dans un apaisement plus intime, avant un final râpeux à la puissance évidente, relayée par une indéniable osmose des solistes. Plutôt qu’un chatoiement des couleurs, cette page met en avant la richesse d’une pâte structurée par un solide canevas rythmique. L’efficacité prend sans doute le pas sur la recherche de raffinements que l’urgence de la partition n’appelle guère.
En un seul mouvement, le Trio élégiaque en sol mineur n°1 (1892) de Sergueï Rachmaninov frémit de l’ivresse sensible, sinon sentimentale, qui distingue le compositeur russe. Dès les premiers émois du violoncelle se déploie la plénitude de l’investissement interprétatif, nullement contredite par un violon qui conjugue nervosité et palette expressive, quand avec un instinct sûr le clavier module l’ondoiement des plans harmoniques, accompagnant à la fois avec force et délicatesse l’entropie d’un discours nourri d’affect.
Après l’entracte, le célèbre Trio pour piano et cordes en mi mineur Op.90 n°4 « Dumky » d’Antonín Dvořák (1891) permet à l’ensemble de faire montre d’une complicité et d’une complémentarité appréciables. La générosité du grain sonore s’abstient de toute épaisseur inutile pour préserver la souplesse du phrasé. La tension dans la ligne comme dans les attaques, calibrée avec une justesse évitant l’excès dans le stéréotype, impulse une dynamique qui fleurit dans les figures idiomatiques, écloses avec une gourmandise communicative, jusque dans le bis – un excellent viatique pour le déjeuner.
GC