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Chroniques
revue finale !
Heinrich Hofmann, Bohuslav Martinů, Felix Mendelssohn et Maurice Ravel
Après plusieurs mois de privation de musique vivante, le mélomane est affamé. Lui servira-t-on les éternels opus à opacifier le répertoire ? Il semble plus que jamais permis, au contraire, de s’écarter des rengaines sempiternelles en osant programmer des pages plus rares ou méconnues. Les directeurs artistiques du Festival de Salon-de-Provence – Éric Le Sage, Paul Meyer et Emmanuel Pahud – l’ont bien compris, alors que la plupart de leurs confrères, par manque d’imagination ou par paresse, persistent et signent à toujours réchauffer les mêmes ragoûts. En ce soir de dernière, il n’est qu’à jeter un œil sur les précédents concerts : l’opus 56 de César Cui [lire notre chronique du 31 juillet 2020], Jazz Concertino d’Ervín Šulhov, la Sonate pour quatuor à vent de Rossini, le Sextuor de Leo Smit, Phantasy Quintet de Ralph Vaughan Williams, l’opus 42 de Louis Vierne [lire notre chronique du 4 août 2020], Idylls H.67 de Frank Bridge, sans oublier Vingt Regards sur l’Enfant Jésus, de toute beauté [lire notre chronique du 5 août 2020], libèrent un souffle nouveau dans le paysage classique festivalier.
Le menu du concert de clôture n’y déroge pas, en proposant deux œuvres de Bohuslav Martinů. Pour commencer, Revue de cuisine H.161, sextuor de 1927 où chaque instrument se fait l’acteur d’une intrigue matrimoniale croquignolesque. Issue des dix épisodes du ballet Pokušení svatoušká hrnec, cette suite en quatre mouvements réunit avec bonheur Daishin Kashimoto (violon), Claudio Bohórquez (violoncelle), Paul Meyer (clarinette), Gilbert Audin (basson) et David Guerrier (trompette) autour du piano d’Éric Le Sage. On en goûte particulièrement le Tango sournois où chaque ustensile en menace sourdement un autre.
Au chapitre des raretés : connaissez-vous Hofmann ? Non, pas le peintre hessois passionné par les sujets christiques (1824-1911), ni le célèbre Prussien, novelliste et musicien (1776-1822), dont l’Empéri n’a pas invité le fameux chat* cette année (ni le second f du patronyme, d’ailleurs), mais le pianiste berlinois Heinrich Hofmann (1842-1902), compositeur fêté en son temps pour ses populaires Ungarische Suite Op.16 (1873) et Symphonie en mi bémol majeur « Frithjof » Op.22 (1874). Nous entendons la Sérénade pour flûte et cordes Op.65 de 1883 dont l’Allegro con moto bénéficie d’une attaque savoureusement moelleuse, sous les archets de Kashimoto et Maja Avramovic (violons), Joaquín Riquelme García (alto) et Bohórquez (violoncelle). Dans la partie soliste, on retrouve la musicalité formidable d’Emmanuel Pahud, élégiaque dans l’Andante tranquillo. Après un Allegro vivace bondissant et contrasté, de fort belle facture si l’on en accepte la convention, le final, Allegro vivo (in ungarischer Weise) convainc par son charme cabotin. Enfin, Natalia Lomeiko et Youri Zhislin (violons), Joaquín Riquelme García (alto), Claudio Bohórquez (violoncelle), Paul Meyer (clarinette) et David Guerrier (cor) interprètent brillamment la Sérénade en la mineur H217 n°1 de Martinů (1932), dont séduit le lyrique Larghetto médian.
La suite de la soirée revient à des valeurs sûres, d’aucuns diraient. D’abord le Quatuor en fa majeur de Maurice Ravel par le Quatuor Mona, abordé dans une si mortifère lenteur qu’on n’en parlera point tant, puis l’Octuor à cordes en mi bémol majeur Op.20 écrit par un Mendelssohn adolescent (1825). Les jeunes artistes y rejoignent leurs aînés Lomeiko, Zhislin, Riquelme García et Bohórquez. Le frémissement de l’Allegro moderato ma con fuoco fait oublier d’emblée l’anémie passagère des Mona. La fervente véhémence de l’interprétation promet beaucoup. De l’Andante l’on apprécie la grâce douloureuse, pudiquement contenue. Puis la fraîche jubilation du Scherzo, déclinant de savantes demi-teintes, cède place au Presto conclusif dont le fugato est ici contrarié par quelques approximations. De cette Revue finale de l’édition 2020 du festival, c’est des trois premières exécutions qu’il faut donc se souvenir.
BB
* Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Lebensansichten des Katers Murr, nebst fragmentarischer Biographie des Kapellmeisters Johannes Kreisler in zufälligen Makulaturblättern, Berlin, 1819/1822. Parmi plusieurs versions françaises, l’auteur de cette chronique recommande celle de Madeleine Laval parue aux Éditions Phébus en 1988 sous le titre Les sages réflexions du Chat Murr, entremêlées d'une biographie fragmentaire du maître de chapelle Johannes Kreisler présentée au hasard de feuillets arrachés