Chroniques

par hervé könig

Richard Farnes joue Thea Musgrave et Johannes Brahms
Golda Schultz, Johan Reuter, BBC Symphony Orchestra and Chorus

The Proms / Royal Albert Hall, Londres
- 7 août 2018
La compositrice écossaise Thea Musgrave fête quatre-vingt-dix ans cette année !
© bryan sheffield

Les Proms mettent divers thèmes à l’honneur de l’édition 2018 : le centenaire de la Grande Guerre, tel que nous le rappelait la création d’Ēriks Ešenvalds [lire notre chronique du 21 juillet 2018], ceux de la naissance de Leonard Bernstein et de la disparition de Claude Debussy, compositeurs entendus ces derniers soirs [lire nos chroniques d’hier et de l’avant-veille], enfin les femmes musiciennes, trop rarement jouées, comme Lili Boulanger et la Galloise Morfydd Llwyn Owen [lire notre chronique du 20 juillet 2018].

Née à Édimbourg en 1928, Thea Musgrave fut précisément élève de Boulanger à Paris, durant les quatre premières des années cinquante. Se rendant au Tanglewood Music Festival à la fin de la décennie, elle étudie avec Aaron Copland et devient elle-même enseignante à l’Université de Santa Barbara, à partir de 1970. Elle suivit une carrière nord-américaine, livrant plusieurs concerti de commande aux orchestres de Boston, New York, etc. Il y a une trentaine d’années, son œuvre fit son entrée dans le répertoire des formations européennes, principalement britanniques. La compositrice est appréciée pour son impressionnante maîtrise de l’écriture orchestrale, dotée chez elle d’une grande force évocatrice, souvent dramatique. Parmi ses opéras, Mary, Queen of Scots – le premier d’une série de quatre qui prend pour sujets des personnages historiques : Harriet, the woman called Moses (1985), Simón Bolívar (1995) et Pontalba (2003) –, créé par le Scottish Opera le 6 septembre 1977, est sans doute l’opus par lequel Musgrave atteignit un public plus large.

Le 27 mai dernier, Thea Musgrave [photo] fêtait quatre-vingt-dix ans.
Les Proms célèbrent son anniversaire en programmant Phoenix rising, une pièce écrite en janvier 1996 et août 1997 pour le BBC Symphony Orchestra qui la créa ici-même le 18 février 1998, sous la direction d’Andrew Davis. Le même orchestre est en piste, dirigé ce soir par Richard Farnes. La tonicité du départ, déterminante, semble provenir d’un monde adverse où tout ne serait qu’agressivité – le nôtre est-il différent ?... L’importante dimension rythmique de cette pièce d’une vingtaine de minutes se suspend tout à coup pour laisser percevoir l’oiseau dont l’avenir est de renaître de ses cendres. D’abord dans les bois, il se fait aussi entendre dans un trait du premier violon. Une autre idée arrive dans le solo triste du cor anglais. À cette courte section s’opposent de spectaculaires salves de cors et de trompettes, galvanisées par des timbales colériques. Le thème du cor solo est repris ensuite par le violoncelle. En rupture, les harpes signalent un changement dans l’harmonie comme dans le climat. Une partie mystérieuse se développe, désormais plus sereine, malgré qu’elle ait à lutter avec des réminiscences désespérées des moments précédents. Après une sorte de danse brève et brillante, des éléments de l’ensemble de la pièce sont rappelés dans une coda très apaisée.

À cette belle introduction succède un gros plat de résistance, puisqu’il s’agit d’Ein deutsches Requiem, nach Worten der heiligen Schrift für Soli, Chor und Orchester Op.45 de Johannes Brahms, conçu de 1854 à 1869. Le doux prélude de Selig sind se montre efficace, sans posséder malgré tout le moelleux nécessaire. Le BBC Chorus donne une lecture nuancée d’une belle couleur. Puis la marche de Denn alles Fleisch fait en apprécier toute la vaillance. C’est un vrai plaisir de retrouver le beau timbre de Johan Reuter dans un sensible Herr, lehre doch mich [lire nos chroniques du 19 mars 2018, du 21 novembre 2015, du 23 mars 2014, enfin des 1er août et 13 juillet 2013]. Sous la battue de Richard Farnes [lire nos chroniques de Falstaff, Das Rheingold, Die Walküre et Götterdämmerung], la double fugue est royalement impactée. Après un Wie lieblich d’une jolie quiétude, la très élégante Golda Schultz se lève pour Ihr habt nun Traurigkeit, servi par la grande pureté de son soprano et une diction allemande superlative. Une rondeur nouvelle traverse l’orchestre pour l’onctueux Denn wir haben hie keine bleibende Statt choral, auquel répond le cuivre délicat du baryton de Reuter dans Siehe, ich sage euch ein Geheimnis. Le final, Selig sind die Toten, opère dans un recueillement authentique. Encore une bien belle soirée aux Proms !

HK