Chroniques

par david verdier

Richard Wagner | Das Rheingold
Jonathan Nott dirige les Bamberger Sinfoniker

Lucerne Festival / Kultur und Kongresszentrum, Lucerne
- 30 août 2013
Jonathan Nott et les Bamberger Sinfoniker au Festival de Lucerne
© priska ketterer | lucerne festival

Wagner sans les décors, voilà qui tranche avec le théâtre si contrasté de Frank Castorf il y a deux semaines [lire nos chroniques des 14, 15, 17 et 19 août 2013]… La scène semble bien vide, tout à coup, malgré la légère mise en espace et les effets de lumière (apparition d’Erda ou du Walhalla).

Le contraste vaut surtout pour l'acoustique. Il faut se réadapter aux conditions d'écoute d'une salle très claire dans laquelle le rapport voix-orchestre ne s'équilibre pas du tout de la même manière. Ces conditions correspondent parfaitement à la vision de Wagner que Jonathan Nott veut imposer avec « son » orchestre de Bamberg (Bamberger Sinfoniker–Bayerische Staatsphilharmonie). Chez le chef anglais la tentation est forte d'amplifier le volume et de faire de l’opéra de Wagner une sorte de poème symphonique avec voix obligées. Il faut bien avouer que la machinerie est magnifique, avec de fortes individualités et un caractère fort marqué – surtout en ce qui concerne la palette noble et sombre des pupitres de cordes. L'absence de fosse coince les chanteurs sur le devant de la scène, entre le public et l'impressionnante masse orchestrale. La proximité des cuivres et des percussions avec la cloison de l'arrière-scène produit une série de tsunamis qui couvrent trop souvent les cordes. On voit les archets s'agiter ou certains chanteurs remuer les lèvres mais rester irrémédiablement couverts par la déferlante. Dans ce magma, la percussion est systématiquement employée pour renforcer l'impression du volume. La forge des Niebelungen a des allures de ranz alpestre, personne ne joue en mesure, ça cogne et ça percute avec l'idée que l'étrange décalage ainsi créé n'est pas rédhibitoire et permet tout de même de continuer. Les glissements périlleux sont habilement rattrapés, par-delà la difficulté de devoir donner les départs dans le dos des chanteurs (un équipement vidéo discret est là pour les sécuriser).

Sur le plan vocal, les Filles du Rhin se croient obligées d'emblée de hausser le ton pour s'imposer face à l'orchestre ; du coup, peu de legato et des notes tirées – Martina Welschenbach en Woglinde – ou une projection parfois nébuleuse – Viktoria Vizin en Flosshilde. Au final, c'est la Wellgunde d’Ulrike Helzel qui offre la palette la plus homogène des trois. L'Alberich de Johannes Martin Kränzle joue tant bien que mal à l'encontre de ce manque d'humour et de fluidité. Scéniquement, il en fait des tonnes – on en oublierait presque que l'instrument est usé et avare en couleurs. Il faut attendre sa capture et la malédiction de l'amour pour entendre un registre grave digne de ce nom (les derniers mots surtout, suivis d'un impressionnant silence comme pour mieux en faire sentir le venin).

La Fricka d'Elisabeth Kulman est, en revanche, une absolue merveille, dépassant de loin tout ce qu'il nous a été donné d'entendre (discographie comprise). Le legato est subtil et semble venir de tout le corps, tout comme ces changements de registre effilés avec une surface vocale dont la trajectoire résonne d'un bout à l'autre de la salle. Autre figure féminine triomphante, Christa Mayer en Erda ne fait pas oublier le côté vamp irrésistible de Nadine Weissmann, mais tire brillamment son épingle du jeu, avec un medium velouté et une belle projection. Le Wotan d'Albert Dohmen ne donne malheureusement pas le change à cet aréopage féminin. Les aigus évoquent le souvenir de ce qu'ils ont été, le rayonnement est globalement assez terne et atone. Sur scène, son allure de pasteur luthérien, les bras ballants, donne une image peu avenante, même si on ne lui reprochera pas des graves encore nobles et un vibrato très ample. L'honnêteté de Meagan Miller en Freia peut s'expliquer par le souci de ne pas trop solliciter une voix qui affrontera demain le rôle de Sieglinde. Le Froh de Thomas Blondelle semble le plus à même de la défendre contre les géants. Le jeune ténor belge [lire notre critique du CD] impressionne par sa prestance dans un rôle aussi bref. À ses côtés, Thomas Laske (Donner) ne parvient pas à s'élever au-delà d'une interprétation honnête, ce qui est également le cas du Mime de Peter Galliard, trop policé et trop sage dans ses changements de registre. Sans doute, une mise en scène permettrait à la voix de mieux incarner les faux-semblants du personnage.

Les deux géants ont beau laisser pendre leurs bras et aller l'amble, ils n'impressionnent pas grand monde. Christoph Stephinger (Fasolt) est le plus sonore des deux, mais la voix bouge dans le haut du registre et dépareille l'impression générale. Mikhaïl Petrenko a beau vouloir faire croire qu'il peut incarner dans une même saison Oreste et Fafner, il semble que le résultat soit meilleur dans Strauss que dans Wagner – a contrario du Klingsor d’Amsterdam [lire notre chronique du 21 juin 2102]. L'assise dans le grave est trop légère pour pouvoir faire illusion.

Succès mérité pour le Loge d'Adrián Erőd, offrant pour l'occasion une étonnante palette de baryton léger, sans rien des éraillements délirants des illustres ténors dans ce rôle. Urbaine et Liedersängerin en diable, la ligne est d'une tenue « classieuse » incroyable – Beckmesser à la table des dieux.

DV