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Rienzi, der letzte der Tribunen | Rienzi, le dernier des tribuns
opéra de Richard Wagner
Grande logique que celle du Théâtre du Capitole qui refermait la saison 2011-2012 par les représentations de Tannhäuser [lire notre chronique du 17 juin 2012] et ouvre aujourd’hui sa saison 2012-13, autrement dite du bicentenaire Wagner, par celles de Rienzi, grand opéra tragique en cinq actes, dont le compositeur rédigea lui-même le livret (il ne dérogera pas de cette habitude) à partir d’un roman historique signé Edward Bulwer-Lytton, créé à Dresde à l’automne 1842 – sur l’ouvrage lui-même, on se reportera à la présentation détaillée que notre média en publiait à l’occasion de la parution d’une captation berlinoise récente [lire notre critique DVD], sans qu’il soit nécessaire d’encombrer cette colonne par des redites.
Trop lié à sa récupération par le decorum national-socialiste, cet opéra, outre qu’il ne répond guère à ce que le mélomane attend de Wagner, est resté absent de nos scènes. Après la création française au printemps 1869 (Paris), ne se laissent compter que deux exécutions au concert, en 1993 et en 2002. Mettre aujourd’hui en scène Rienzi fait donc forcément l’événement de cette rentrée lyrique. Encore fallait-il qu’à l’attente d’une bonne surprise répondît… une bonne surprise : c’est bien le cas, grâce à une équipe dramaturgique inspirée, une direction avisée et une distribution de haute tenue.
C’est aux enjeux de pouvoir que s’est attaché Jorge Lavelli. Avec la complicité de Francesco Zito pour les costumes – qui définissent très clairement les classes sociales, « clonant » les hommes de la noblesse sous même perruque, grimage et vêture, inventant des tissages un rien ethniques pour le peuple et des éclaboussures de mitres aux prélats, sans qu’il soit possible de dater précisément l’action : il s’agit de Rome au XIVe siècle, mais aussi de l’Allemagne des années 1840, avec des souvenirs (induits, jamais appuyés) de Terreur française et d’intuitions (également discrètes) de fascismes modèle 1930 – et de Ricardo Sánchez Cuerda quant à la scénographie – sorte de boite de tôles rouillées où mijotent l’exaltation révolutionnaire puis le désaveux, laboratoire oppressant dont on ne s’échappe que par conjuration ou Sainte et redoutable « diplomatie » (mystère de l’excommunication) –, le metteur en scène n’appesantit d’aucun oripeau trop littéral un spectacle qui interroge passé et présent, le plus sobrement du monde.
Pinchas Steinberg (qui dirigeait le concert montpelliérain précité) mène rondement un Orchestre national du Capitole de grands moyens comme de bonne volonté. Dès l’Ouverture – jouée rideau baissé, « à l’ancienne », sans qu’aucune peur du vide la dérobe à sa fonction –, le ton est donné : celui d’une sorte d’héroïsme nostalgique, si l’on peut dire, largement respiré par des cordes à la pâte onctueuse, par des cuivres à la coloration profonde, dans lequel la baguette sculpte les motifs et leurs aléas dix-neuviémistes (beaucoup d’influences du temps dans la facture de Rienzi, assurément). Tout en conduisant la fosse main dans la main avec le plateau, tant théâtral que vocal, Steinberg affirme une expressivité touffue qui profite en ogresse de chaque effet (violoncelle pleinement vibré de l’Acte II…), et si l’option s’avère par moments assez massive (le ton n’est pas à la ciselure), la partition se laisse parfaitement envisager de pareille façon.
À l’urgence de l’orchestre répond une action haletante, dès le lever de rideau, avec un enlèvement qui précipite d’emblée le public sur scène, cinq actes durant. Hormis des changements de plateaux nettement trop longs, la représentation galope dans le rythme effréné de la conquête politique, de la trahison, de l’amour, des attentats, procès, pardon, guerre, victoire, deuil, conjuration, excommunication, opprobre, bondissant de mal en pis jusqu’à la mort du tribun dans l’incendie du Capitole [photo] – rassurez-vous : pour autant que l’enthousiasme enflamme les saluts, le théâtre toulousain n’est pas en danger, ni lui ni la fort belle monture de Rienzi, doux cheval blanc dont les oreilles mobiles découvraient, non sans visible inquiétude, la puissance des voix d’opéra.
Et quelles voix !
Après avoir félicité les artistes du Chœur du Capitole qui conjuguent leurs qualités à celles des membres du Chœur de l’Accademia Teatro alla Scala (Milan) dans une prestation remarquable que dirige Alfonso Caiani, passons vite sur un Baroncelli plutôt insipide, un Colonna assoupi dans le menton et un Orvieto qui malmène l’intonation, pour évoquer six incarnations magnifiques. Le soprano américain Jennifer O’Loughlin livre un Messager de la paix de claire impédance, en un Lied admirable de tendresse. Le baryton solidement timbré de Stefan Heidemann sert un Orsini qui pourfend la salle de ses accents idéalement belliqueux. Dans le même registre, le jeune Brésilien Leonardo Neiva prête un impact flatteur au bouillant Cecco, personnage qu’il rend particulièrement attachant.
Le trio principal laisse pantois. Le chant large de Marika Schönberg, au legato généreux et à la présence progressivement investie au fil de la soirée, favorisent une Irène dont bouleverse le sacrifice final (avec son lot d’ambigüités incestueuses). On retrouve Torsten Kerl dans le rôle-titre auquel il confère dès l’abord l’autorité qu’on lui connaît. Il impose une ligne à l’héroïsme toujours élégamment mené, par-delà l’enrouement passager du début de la prière (Acte V) qui n’en ternit pas la splendeur. C’est assurément à la fin du II qu’il donne toute la mesure de son art. La grande rencontre d’aujourd’hui est sans conteste le mezzo-soprano dramatique Daniela Sindram : elle offre un Adriano de grand format, gigantesque proyer filant son vol avec un rare engagement scénique.
Faudra-t-il parler de « résurrection », voire de « réhabilitation » de Rienzi par la scène française ?... L’avenir nous le dira, partant que la présente production, dont la réussite ne fait pas l’ombre d’un doute, fera forcément date.
BB