Chroniques

par vincent guillemin

Rienzi, der letzte der Tribunen | Rienzi, le dernier des tribuns
opéra de Richard Wagner

Oberfrankenhalle, Bayreuth
- 13 juillet 2013
Rienzi, der letzte der Tribunen, opéra de Richard Wagner, à Bayreuth
© dr | bayreuther festspiele

Le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner n’aura produit dans le monde qu’une création scénique de son premier opéra Die Feen – à Leipzig [lire notre chronique du 24 mai 2013] –, une seule de Das Liebesverbot, le deuxième (Bayreuth), et une poignée du troisième, Rienzi – Toulouse [lire notre chronique du 10 octobre 2012], Rome et Bayreuth –, agrémentées de quelques versions de concert (Weigle à Francfort, Jordan à Salzbourg, etc. ).

Munich n’ayant pas reconduit l’idée qu’avait défendue Wolfgang Sawallisch en 1983 – il jouait les treize opéras dans la saison –, il fallait donc être à Bayreuth pour y entendre les trois ouvrages de jeunesse, dont une production inédite de Rienzi, confié à la direction de Christian Thielemann, dans un lieu plus qu’imparfait pour l’occasion, suite à la décision de respecter l’interdiction du compositeur de monter ses trois premières œuvres à la Festspielhaus. L’Opéra des Margraves étant trop petit, mais surtout fermé pour rénovation, et le théâtre de la ville étant inadapté, il ne restait qu’un seul choix : l’Oberfrankenhalle, à la fois lieu de rencontres sportives et salle des « variétés ». C’est donc dans des conditions acoustiques désastreuses qu’est joué Rienzi devant un parterre clairsemé, montrant à quel point sont inadaptées la communication du festival et sa politique tarifaire (billets entre 100 et 500€).

Dans la brochure, le problème du choix d’une salle est évoqué par Thielemann, également conseiller artistique du festival. Soucieux des traditions, il justifie le maintien de l’interdiction de jouer l’œuvre à la Festspielhaus pour des raisons principalement acoustiques : l’opéra de Wagner ne serait pas prévu pour sonner dans son théâtre. Quant à la version choisie de cette œuvre créée en 1842 à Dresde – en six heures avec ballet dans le style du grand opéra français (Meyerbeer, Halévy) –, c’est celle, quasi similaire semble-t-il à la production de Leipzig [lire notre chronique du 25 mai 2013], durant environ deux heures et quarante-cinq minutes, la raison invoquée étant le temps trop court donné aux artistes pour préparer la version intégrale. Sur ce sujet, nous aurions aimé un avis de la direction du Bayreuther Festspiele (les sœurs Eva et Katarina Wagner), car l’occasion de jouer enfin une version complète semblait idéale, surtout quand le chef précise inscrire pour sa liste futur l’ouvrage intégral, dans la version recomposée à partir des pièces d’orchestre, puisque le manuscrit a disparu en 1945 dans le bunker d’Hitler.

Pour la première fois à la tête du Gewandhausorchester Leipzig, Christian Thielemann propose une Ouverture proche, quant à l’esprit, de ce qu’il donnait au printemps à Paris [lire notre chronique du 24 mai 2013], même s’il est nécessaire de repréciser que l’acoustique est celle d’une « anti-Festspielhaus » : alors que se font magnifiquement entendre là les instruments sans qu’on les voie, l’on voit ici des instruments qu’on n’entend pas… Dommage quand on imagine convainquant le travail du chef.

Des chanteurs, le rôle le mieux distribué est assurément tenu par Daniela Sindram, d’une superbe crédibilité en Adriano et vocalement la seule à dépasser les problèmes acoustiques. Pas une seule note n’est oubliée et la ligne de chant, parfaite, ainsi que le très bon jeu d’acteur en font la star de la soirée. L’Irene de Jennifer Wilson (Brünnhilde à Valence) se révèle très à l’aise lorsqu’il faut lancer la voix avec force, principalement au cinquième acte où tous ses aigus passent à merveille, mais moins dans les parties plus douces comme les deux premiers actes où se font ressentir un manque de modularité et des médiums tendus. D’un bon niveau, le reste du plateau est composé du noir Orsini de Jürgen Kurth, du Colonna de Milcho Borovinov (entendu en mai à Leipzig) et du Cardinal légèrement moins en voix de Tuomas Pursio.

Grand habitué du chant wagnérien, Robert Dean Smith a travaillé avec le chef dans une superbe production de Lohengrin à Dresde (janvier). Il est ici très bon, malgré une voix moyenne portée. Étonnamment, il utilise un vibrato beaucoup trop marqué dans sa prière de l’Acte V, mais finit par convaincre au final, dépassant Torsten Kerl à Berlin [lire notre critique du DVD] et Toulouse.

L’impeccable interprétation du Gewandhaus Chor, composé de chanteurs bons acteurs, finit par séduire musicalement, malgré la mise en scène insipide de Matthias von Stegmann, proche d’une simple mise en espace. Composée de quelques pans de murs (un morceau du Colisée et deux côtés des Thermes de Caracalla) recouverts en filigrane noir-et-blanc de photos des gradins de l’Oberfrankenhalle sur lesquelles sont projetées les vidéos explicites de Matthias Lippert (peuples qui s’enfuient, pendaisons, feu), la scénographie accompagne sans idée forte ni magie des chanteurs en costumes classiques. Malgré le partenariat Leipzig-Bayreuth, il est peu probable que ces décors soient réutilisés un jour ; aussi pourquoi n’avoir pas proposé une version de concert et complète à la Festspielhaus ? Bayreuth étant censé être aujourd’hui encore le meilleur festival wagnérien, tout cela demeure bien faible.

VG