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Chroniques
Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi
Verdi censuré !
Alors qu'il choisit Le roi s'amuse, la pièce de Victor Hugo, comme sujet de son nouvel opéra, les autorités vénitiennes s'alarment de son envie de faire d'un roi un libertin (François I), et dénoncent l'impiété d'appeler La maledizione une telle œuvre – le gouverneur de la ville allant jusqu'à parler « d'une rebutante immoralité et d'une obscène trivialité ». Verdi cède alors sur le détail sans renoncer au principal.
Deux ans après la première de Rigoletto (11 mars 1851), il écrivit : « je refuserai aujourd'hui de traiter des sujets du genre de Nabucco, Foscari, etc. Ils présentent des moments dramatiques de grand intérêt mais manquent de variété. On touche la même corde, toujours la même corde » ; et de citer, au contraire, cette nouvelle création comme offrant « des situations très fortes, du brio, du pathétique », véritable tremplin pour Il Trovatore et La Traviata (1853).
Le romantisme fit apparaître des personnages inconnus sur scène un siècle plus tôt. Sorcières, êtres difformes, catins profitent de l'engouement pour la fin du Moyen Age et la Renaissance pour rappeler leur existence au public – Verdi lui-même vient d'écrire Giovanna d'Arco (1845) et Macbeth (1847). Pour sa mise en scène, Arnaud Bernard a conservé le drame dans la Mantoue du XVIe siècle, faisant du duc un esprit curieux, homme de laboratoire qui s'intéresse à Rigoletto comme à une énigme de la nature qu'il faudrait analyser et résoudre. D'où les gradins d'amphithéâtre créés par Alessandro Camera, surmontés d'une coursive et d'une gigantesque bibliothèque (aux centaines d'ouvrages sculptés dans le bois). L'idée de ce lieu unique fonctionne assez bien pour la fin du premier acte, puisque Gilda, dans sa tour, est aussi un objet d'étude à approcher (une vierge tenue sous clé), mais un peu moins dans le troisième. On y appréciera tout de même l'ambiance cauchemardesque qui s'en dégage, avec son bateau échoué dans le brouillard, les éclairs et le vent qui se déchaînent au moment du sacrifice de la jeune fille.
Pour sa première saison à Lausanne, Eric Vigié souhaitait qu’en sortant de Rigoletto le public dise : « les voix étaient vraiment belles ». Pari gagné pour le nouveau directeur de l'Opéra qui, ayant réunit quelques habitués des meilleures scènes européennes, reconnaît faire passer qualités vocale et musicale avant la mise en scène. Fidèle aux rôles verdiens (il prépare Aida et Attila pour 2006), le Mexicain Carlos Almaguer compose un bouffon qui sait être touchant, même s'il n'échappe pas toujours à la convention. La voix est ample, le timbre sombre, les pianissimi aisés sur son monologue nocturne (acte I, scène 8), lorsqu'il avoue sa haine des courtisans et, donc, de son triste métier. Face à lui, dans de nombreux duos souvent ovationnés, le soprano Nicoleta Ardelean est une Gilda qui n'a rien d'une oie blanche : la voix est chaude, souple, et le timbre coloré. Dernier rôle du trio fatal, Robert Nagy joue il duca di Mantova (en alternance avec Giuseppe Filianoti) ; le ténor sera la seule déception de la soirée : aigus métalliques, notes sans corps ou souvent fausses, et ne brillera que dans le troisième acte, retrouvant le legato et la stabilité qui manquaient jusqu'alors.
Dans les rôles secondaires, on aura été touché par la vaillance et les graves puissants de Jean Teitgen (Sparafucile), par l'ampleur et la projection efficace de Rubén Amoretti (Monterone inoubliable), par la sonorité et la nuance de Vincent Deliau (Marullo). Formé à l'art dramatique comme au baroque et au lied, ce jeune baryton sera présent tout au long de la saison ; en effet, - avec Isabelle Henriquez (Giovanna et Maddalena) et Jose Luis Sola (Matteo Borsa) - notamment, il fait partie de l'EnVOL (Ensemble vocal de L'Opéra de Lausanne) qui offre à de jeunes chanteurs la possibilité de commencer leur carrière dans des conditions professionnelles. Tous profitent de la lecture claire, délicate et posée de Paolo Arrivabeni, à la tête de l'Orchestre de Chambre de Lausanne. N'oublions pas d'applaudir le Chœur « maison » et sa cheffe, Véronique Carrot ! Si les gestes des choristes sont souvent identiques, être une masse peu individualisée sert en revanche leur art vocal, puisqu'on est emporté par un flux sans faille, dans la force comme dans la délicatesse.
LB