Chroniques

par laurent bergnach

rituels vocaux de Maurice Ohana

Maison de Radio France, Paris
- 30 mars 2007
le compositeur Maurice Ohana (1913-1992) photographié par Guy Vivien
© guy vivien

Bercé par le chant depuis son enfance, Maurice Ohana a trouvé dans cet art du souffle matière à défendre une liberté d’expression qui lui tenait à cœur, en réaction aux esthétiques en vogue au lendemain de la Libération. En 1992, rencontré quelques mois avant sa mort, le natif de Casablanca confiait à Radio France : « La voix détient à mon avis la clé de tout ce qui va se passer maintenant en musique, parce qu’elle accède à tous les stades du son, et c’est le son qui nous emmène dans une nouvelle aventure musicale » – une manière de rappeler ce qu’il avait toujours dit, à savoir que l’écriture vocale abolissait la frontière du tempérament, du temps, de l’espace, « retrouvailles avec son état primitif manifesté dans les musiques d’Afrique, dans le chant flamenco, dans certaines musiques d’Europe centrale ».

C’est au pays du Kabuki que nous emmène d’abord le compositeur, avec Trois contes de l’Honorable fleur – ces derniers mots étant la traduction française du mot japonais ohana –, un opéra de chambre inspiré des légendes de tradition orale. « Je me suis orienté tout de suite vers une sorte d’imagerie à la manière du Douanier Rousseau, où se mêlent le mystérieux, le maléfique, le magique », précise le créateur qui répondait à une commande du soprano Michiko Hirayama, lequel assura la création avignonnaise le 15 juillet 1978. Accompagnée par Roland Hayrabedian qui connaît bien cet univers musical [lire notre critique du CD Musicatreize], c’est au tour de Kyoko Okada d’incarner successivement la Jeune Fille sous la Lune, la Lune, l’Ogre puis l’Ogresse, la Dame honorée que le Vent d’Est outrage et la Pluie remontée au ciel pour mille ans. Un chant souple au timbre rond, une diction parfaite et une expressivité efficace sont les atouts de cette pianiste de formation qui sublime une œuvre toute en énergie et sensualité, où l’alternance des langages avive l’imaginaire sans l’égarer.

Cinquante jeunes interprètes de la Maîtrise de Radio France rejoignent la scène pour Quatre chœurs pour voix d’enfants a cappella. Étonnamment créée par un ensemble vocal féminin en 1987, cette œuvre – où cohabitent contour mélodique d’une berceuse populaire, onomatopées à consonances africaines, évocations palpitantes ou carillonnantes – n’est pas l’ennemie de certaines fraîcheur et spontanéité, et prouve aujourd’hui qu’un chœur d’enfants bien préparé (Marie-Noëlle Maerten) peut venir à bout d’une partition jugée difficile.

Multipliant presque par dix ce groupe aux voix claires, la dernière œuvre au programme nécessite, outre l’orgue, la percussion et la présence de Michel Tranchant aux côtés des deux autres chefs cités plus haut, un effectif à la présence impressionnante : Assemblée vocale de Radio France, Chœur de Radio France, Chœur de Malestroit, Ensemble vocal Mélisande de Versailles, Ensemble vocal de Neuilly, Musicatreize, System 20 et Varia Voce. Avec l’ajout de Lux noctis (achevé le 8 décembre 1988) à Dies solis (créé le 7 décembre 1983), Ohana livre un diptyque lumineux qui témoigne de son sens du rituel, réunissant dans un esprit communautaire professionnels et amateurs de bon niveau autour de la poésie latine de Catulle. « La vertu principale des œuvres, disait-il, c’est de nous révéler un espace intérieur ».

LB