Chroniques

par bruno serrou

Roaratorio
pièce de John Cage remixée par Sarkis

Agora / Ircam, Paris
- 7 juin 2010
Roaratorio, pièce de John Cage remixée par Sarkis
© dr

Le festival Agora 2010, vitrine de l'activité de l'Ircam, « interroge » le concept de prototype et le place dans des « constellations historiques et actuelles surgies de la tension entre le processus d'invention et l'arrêt d'un objet défini et multiple », selon le texte de présentation signé de son directeur, Frank Madlener. Thème justifié, puisque l'institut fondé par Pierre Boulez à la demande du président Georges Pompidou est un laboratoire de la création musicale, qui, depuis sa fondation en 1977, a suscité quantité de procédés, paradigmes et outils repris et développés par les musiciens de tous horizons et, grâce à son encrage au sein du Musée national d'art moderne, un certain nombre d'artistes plasticiens.

Ainsi, l'ouverture de cette édition a été confiée à Sarkis, plasticien d'origine turque dont le travail allie le néon, la vidéo, la photographie, l'aquarelle et toute une panoplie de matériaux d'origines multiples, empruntant autant à la mémoire des lieux où il implante ses installations qu'à la sienne. Pour Agora, et parallèlement à l'exposition que lui consacre le Contre Pompidou jusqu'au 21 juin, c'est un long happening qu'il a proposé dans l'Espace de projection de l'Ircam. Tout compte fait, il ne s'agissait que d'un spectacle d'une heure, mais le temps se dilatait tant et la répétitivité du matériau sonore était si prégnante que ces soixante minutes ont paru l'éternité. Le spectacle, qui se déroulait dans l'obscurité, était davantage le fait du public, en majorité allongé à même le sol soit en situation d'écoute soit plongé dans un demi-sommeil, d'autres déambulant dans la salle pour tenter de saisir la moindre variation de son selon l'endroit où il stationnait. En fait de happening, il s'est agi d'un « remix » de l'œuvre de John Cage Roaratorio, créée en ce même lieu le 19 janvier 1981.

Le compositeur américain avait conçu ce projet à partir de ses lectures de Finnegans Wake de James Joyce. Cette bande sonore diffusée à travers tout un réseau d'enceintes acoustiques enchevêtre cris, rires, pleurs d'enfants, de femmes et d'hommes, chants d'oiseaux, roucoulements de volailles, bruits de la nature, tournant inlassablement en rond, la voix de Cage étant remplacée par un orage revenant continuellement avec le même effet de flash pour les éclairs suivi du même grondement de tonnerre... À moins d'être allongé et d'avoir fumé la moquette, et en dépit des espoirs toujours déçus mis dans l'apparition de nouveaux attributs sonores et/ou visuels, on se lasse très rapidement de ce spectacle qui n'en est pas un, et l'on se dit que l'Ircam aurait été mieux inspiré de s'en tenir à la thématique de son festival, en reprenant le prototype élaboré par Cage voilà dix-neuf ans…

BS