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Rodelinda | Rodelinde
opéra de Georg Friedrich Händel
Pathé Live envahit une centaine de cinémas français, dont sept à Paris, à retransmettre une dizaine de représentations en direct du Metropolitan Opera, donnant ainsi loisir au lyricophile gaulois de découvrir de nouvelles productions new-yorkaises et quelques reprises de mises en scène ayant gagné leurs lettres de noblesse. Parmi les just borned à magnifier la toile, l’on compte déjà Anna Bolena (Donizetti) et Don Giovanni (Mozart), diffusés en octobre, Siegfried (Wagner), en décembre ; viendront Manon (Massenet) en avril, Götterdämmerung (Wagner) en février, Faust (Gounod) ce mois-ci, sans oublier un pasticcio imaginé par William Christie, The Enchanted Island (L'Île enchantée), où de grandes voix de la scène baroque traverseront The Tempest (Shakespeare) dans des nacelles signées Händel, Leclair, Rameau, Vivaldi, etc. (21 janvier 2012 ; première au Met’ à la Saint-Sylvestre). Quant aux reprises, après Satyagraha (Glass), en novembre, vous attendent en avril La Traviata (Verdi), puis Ernani (Verdi) en février.
En décembre 2004, l’illustre bâtiment de Kirkman Harrison donnait Rodelinda, opéra de Händel (création en 1725) écrit sur un livret de Haym d’après Salvi, Rodelinda, regina dei Longobardi, mis en musique par Giacomo Perti (1710), entre autres. Antonio Salvi en avait puisé le sujet dans la tragédie de Pierre Corneille, Pertharite (1651), dont le Rouennais avait nourri l’argument à la lecture d’une Histoire des Lombards du bénédictin Diaconus (Historia Langobardorum, VIIe siècle). Ainsi filées ces sources furent celles de Wend, quelques années plus tard, pour Flavius Bertaridus, König der Langobarden de Telemann [lire notre chronique du 10 août 2011], dont userait également le Dresdois Graun pour sa Rodelinda qui, le 13 décembre 1741, inaugurerait le nouvel opéra berlinois de Friedrich II de Prusse (Königliche Opernhaus, actuel Deutsche Staatsoper Unter den Linden). C’est cette production de sept ans que l’on voit ce soir sur écran géant, en haute définition et son numérique 5.1.
Préciser qu’on ne prétendra pas appréhender librement la mise en scène de Stephen Wadsworth, ici perçue à travers le prisme d’un montage « spontané » requérant dix caméras, tient ici du défonçage de portes ouvertes ; de même l’abord des voix et de la partie musicale en général est-il soumis à l’association micros-haut-parleurs qui, pour de bon aloi comme de bonne volonté qu’elle s’avère, ne pourra que se laisser supposer fidèle plutôt qu’à garantir qu’elle le soit forcément. Ceci étant dit – partant que l’amateur d’opéra ne rechigne guère à goûter des captations DVD dans les divers bruits de son chez-lui – et passée la surprise des premiers récitatifs au parlar cantando inévitablement disproportionné (mais l’oreille s’y adapte vite, tout comme l’œil, pour voir dans la nuit, n’a que faire des prothèses indispensables à l’objectif photographique, par exemple), l’expérience relève d’une passionnante plongée dans la représentation, grâce aux procédés propres au cinéma.
C’est donc une autre façon d’apprécier l’opéra qu’offrent ces directs. Ainsi de l’appréciation des décors méticuleux de Thomas Lynch (la mousse sur le bois des écuries, le flottement d’une vitre coulée à l’ancienne, entre autres détails) comme de l’expressivité des visages. Les dix yeux ici réunis inventent un mouvement large, regard sans angles qui tourne sur la scène à la manière d’Ophuls, « baroque » en diable. Ici, le public ne va pas siroter une coupe aux entractes : le Met’ révèle ses coulisses où le soprano Deborah Voigt interroge le chef et les chanteurs, entre deux feux.
Dans le rôle du roi en exil, nous retrouvons le lumineux Andreas Scholl (Bertarido) qui déjà l’incarnait dans la production de Glyndebourne, signée Jean-Marie Villégier, vue au Châtelet il y a une dizaine d’années. Le fidèle Unulfo est chanté par Lestyn Davies, au timbre sûr. Du côté des méchants, le baryton-basse chinois Shenyang campe un Garibaldo perfide à souhait, tandis que le vaillant ténor Joseph Kaiser livre un tyran solide (Grimoaldo) – il remplace Kobie van Rensburg initialement annoncé. Les héroïnes emportent les suffrages : Renée Fleming, d’abord, avantageusement moins glamour qu’attendue, plus sobrement théâtrale dans le rôle-titre qu’en la plupart de ses apparitions à la scène, et, surtout, l’excellente Stephanie Blythe qui prête un mezzo habile et virevoltant dans les da capo à Eduige.
D’abord un rien timoré dans son fauteuil, le public peu à peu obéit à l’excitation du spectacle, et se trouve bientôt au diapason de celui du Lincoln Center : ainsi applaudit-on depuis l’image comme de la salle vers elle !
BB