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Chroniques
Roméo et Juliette
opéra de Charles Gounod
L’Opéra de Nice contribue aux célébrations du bicentenaire de naissance de Charles Gounod (1818-1893) en montant ce Roméo et Juliette de très bonne tenue globale. Le spectacle bénéficie, en premier lieu, de la nouvelle production d’Irina Brook, dont les décors de Noëlle Ginefri actualisent très nettement le livret de Barbier et Carré, d’après la tragédie éponyme de Shakespeare. Vérone y est un lieu actuel dévasté par la guerre : les cadavres de Roméo et de Juliette reposent sur le sol au lever de rideau, parmi les sacs de sable utilisés pour se protéger des balles. Deux poteaux électriques reliés par des câbles sont encore debout, mais la maison des Capulet est éventrée. Ses murs présentent des éclats d’obus et un morceau du balcon et de la balustrade pend, retenu par les fers à béton. On se divertit tout de même pendant les périodes d’accalmie, en amenant tables et chaises surmontées de guirlandes d’ampoules électriques pour le bal chez les Capulet, un bal masqué et costumé à l’orientale où certains convives esquissent des pas de moonwalk et de smurf.
Les scènes successives enchaînent ensuite avec une rapidité appréciable : des icônes descendant des cintres figurent la cellule de Frère Laurent, les bagarres dans la scène suivante entre Capulet et Montaigu sont particulièrement bien réglées et crédibles dans leur agressivité, puis à l’Acte IV les amants sont enlacés dans un lit sous un haut voilage transparent, avant que prenne place le tombeau de l’acte final où Juliette est allongée sur des sacs de sable.
La distribution est dominée par la formidable Juliette de Vannina Santoni, très belle en scène, timbre charnu et puissant d’une musicalité jamais prise en défaut, et dont la qualité de diction est excellente, surtout dans cette catégorie de soprano. En Roméo, Jésus León est un ténor bien concentré dans sa partie aigue (il tient avec vaillance la note finale de l’Acte III « …mais je veux la revoir ! ») ; plutôt serré, l’instrument n’opère cependant pas de séduction immédiate. Malgré des efforts visibles, la prononciation du français reste insuffisamment idiomatique et accentue encore le déséquilibre vocal dans le couple. Déroulé avec élégance, le grand air Ah ! Lève-toi, soleil est heureusement l’un de ses meilleurs moments. Le chant de Catherine Trottmann en Stephano est riche et homogène ; elle interprète avec vigueur et espièglerie Que fais-tu, blanche tourterelle ?, tout en jouant de la mandoline, perchée sur un escabeau. Les voix des barytons Boris Grappe (Mercutio) et Philippe Ermelier (Capulet) possèdent de somptueuses qualités intrinsèques, pas toujours idéalement mises en valeur par une ligne de chant bousculée par moments – par exemple, Mab, la reine des mensonges trop haletant pour le premier et des relâchements répétés de l’intonation et du respect du rythme pour le second. Même avec une puissance modérée, Frédéric Caton interprète un autoritaire Frère Laurent, Marie-Noële Vidal est une Gertrude caricaturale et le ténor Enguerrand De Hys en Tybalt fait preuve d’une impressionnante facilité d’extension vers l’aigu, dans un volume réduit.
Après les premières mesures – dans le grand passage quasiment a cappella – de mise en place du rythme et de la cohésion, le Chœur de l’Opéra de Nice se montre convaincant. Alain Guingal est un habitué de Roméo et Juliette, œuvre qu’il dirigeait entre autres à Avignon en 2013 (avec Sonya Yoncheva en Juliette) et qu’il servit plusieurs fois en Italie dans les années quatre-vingt, avec le grand Alfredo Kraus en Roméo. La musique jouée ce soir par l’Orchestre Philharmonique de Nice est de toute beauté, en particulier grâce à des cordes soyeuses. Le chef fait constamment avancer le drame, sans alanguissements exagérés (par exemple, la grande scène des amants à l’Acte IV, dont le duo Nuit d’hyménée, ô douce nuit d’amour, ne traîne pas), et dans un volume toujours respectueux des solistes et choristes sur le plateau.
IF