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Chroniques
rumeurs baroques
Benjamin Lazar et Vincent Dumestre
Dans le sillage des représentations de Cadmus et Hermione [lire notre chronique du 21 janvier 2008], on peut entendre à l’Opéra Comique, à des heures habituellement peu courues pour le concert, quelques rumeurs venant apporter des éclairages supplémentaires à la vie musicale du temps de Lully. Ce samedi, quand on hésite entre brunch tardif et gigot aux morilles promis de longue date par Tante Agathe, celle du jour fait finalement pencher à la faveur d’un récital façon Coucher du roi, éclairé à la bougie. Dans cette atmosphère hautement intimiste – la salle Bizet ne peut guère accueillir qu'une petite centaine de convives – Vincent Dumestre a chaussé le théorbe et s'est entouré d'un Poème Harmonique réduit à la portion congrue : sont là Claire Lefilliâtre, bien sûr, Benjamin Lazar (cela va de soi) et le violiste Lucas Guimaraes. Au programme : airs de cour, chansons à boire, déclamation de tirades de Jean Racine et tubes de Marin Marais, en version théorbe et viole, le but originel étant de doucement installer le roi dans les bras de Morphée.
D'emblée, dans les Stances du Cid de Marc-Antoine Charpentier, Claire Lefilliâtre accuse les fatigues d'une semaine marathonienne. Couchée tard quasiment tous les soirs pour cause de rôle-titre dans Cadmus et Hermione, la voix et la belle sont littéralement à bout de souffle. Quelques minimes mais réels problèmes de justesse, camouflés tant bien que mal par une technique sûre et une expressivité non altérée, gâchent un peu le plaisir. L'air à boire de Gabriel Bataille (1575-1630), Qui veut chasser une migraine, entonné de conserve avec Benjamin Lazar, vient fort heureusement chasser, autant que la migraine, les soucis vocaux de ce début : on retrouve alors une superbe Claire Lefilliâtre.
Passons rapidement sur les Variations sur les folies d'Espagne dans lesquelles Lucas Guimaraes paraît avoir bien du mal à se hisser au niveau de Vincent Dumestre, pour ne retenir (et c'est énorme !) que les prestations croisées du même Dumestre et de Lazar [photo]. On tremble, on frémit encore à l'évocation de ce « monstre au front large, cornes menaçantes et écailles jaunissantes » qui paraît devant nous (tirade de Théramène, Racine, Phèdre, Acte V Scène 6). Car il est là, ce monstre, il va surgir ! En véritable magicien du verbe, le comédien fait naître de chacune de ses déclamations autant d'images tour à tour effrayantes et enchanteresses – à savourer sans en perdre une miette.
Sans qu'on n'y songe, le théorbe caressant de Vincent Dumestre, dont on ne louera jamais assez l'incroyable musicalité, fait son entrée en plein cœur des mots, quittant Racine pour nous accompagner là vers Marin Marais, ici vers Michel Lambert. Ces moments rares et précieux justifient pleinement d'avoir honteusement sécher le gigot aux morilles de Tante Agathe, promis !
FLB