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Chroniques
Rusalka
opéra d’Antonín Dvořák
Au printemps 2002, l’Opéra national de Paris ouvrait ses portes au plus célèbre des opéras d’Antonín Dvořák. Robert Carsen signait alors une production à la sobriété salutaire, loin de toute illustration trop littérale, débarrassée des lianes aquatiques et autres palais de cristal. Reprise pour une nouvelle série il y a dix ans, cette fort belle Rusalka, en son temps portée par Renée Fleming et largement diffusée depuis via le DVD édité par Arthaus Musik, retrouve Bastille pour huit représentations.
Le recul du temps n’en peut mais : nous restons simplement fascinés par la réalisation de Carsen, immergeant d’emblée le public sous des eaux pécheresses par un judicieux dispositif en miroir, quand bien même l’omniprésence du lit où consommer une âme tout juste (re)gagnée avait pu paraître assez réducteur. De l’invisible plafond, perdu dans les cintres, naît au sol un bassin de morte-eau, dans une chambre au reflet si parfait qu’il en est physiquement impossible – encore s’y loge le mystère du crédit accordé aux chimères, la disparition du double précipitant la naïade dans le monde des humains comme une nitescence tant désirée qu’improbable. Investi d’autres glaces, cet univers transvase le jeu à l’horizontal, mu cette fois par les corps, l’arrogance affirmée du bal des courtisans s’y pelotant en emblème. Par-delà le feu de Ježibaba (toujours impressionnant !) puis son ironique apparition dans la peaultre suspendue sur la morne inappétence d’ébats mal calandrés, à l’amour d’alors charrier ses récoltes infortunées, de la soif passionnelle qui magnifie le vulgaire jusqu’à la gelure de la désillusion, ruinant l’héroïne entre deux règnes.
Soignant jalousement chaque détail, Jakub Hrůša livre une interprétation fidèlement ciselée. À la tête d’une fosse à l’incontestable santé, le jeune chef morave travaille étroitement avec les chanteurs, libérant volontiers l’élan lyrique sans en trop faire. Entendit-on jamais marche funèbre plus sensuelle, par exemple (fin de l’Acte III) ? La salle ne s’y trompe pas qui chaudement l’applaudit dès le retour du premier entracte.
Le plateau vocal n’est pas en reste, par-delà quelques points perfectibles. Alžběta Poláčková, Agata Schmidt et Yun Jung Choi forment un trio d’Ondines parfaitement équilibré. La courte réplique du Chasseur est avantageusement confiée à Damien Pass, baryton remarqué plus qu’à son tour lors de sa formation à l’Atelier « maison » [lire nos chroniques du 18 décembre et du 26 juin 2010, ainsi que celle du 28 novembre 2009], quand l’appréciable Igor Gnidii campe un robuste Garde forestier, comme il y a cinq ans à Nancy [lire notre chronique du 30 septembre 2010]. Applaudie sur cette scène en Olga d’Eugène Onéguine [lire notre chronique du 17 septembre 2010], la Russe Alisa Kolosova (issue elle aussi de l’Atelier Lyrique) sert d’une tessiture infailliblement assurée la Princesse étrangère, épiçant de son grave envoûtant les séductions de la rivale. Vraisemblablement en fugace méforme, le ténor morave Pavel Černoch déroule d’abord l’aigu du Prince avec certaine difficulté, contrairement à la facilité déployée à Bruxelles [lire notre citrique du DVD] ; mais il s’assouplit bientôt, dévoilant au dernier acte un chant plus souple et honorablement nuancé. Le soprano russe Svetlana Aksenova offre un timbre plein et une assise corsée au rôle-titre, probant dès l’abord et qui va se bonifiant toujours plus.
Deux artistes enthousiasment particulièrement : Ježibaba in loco en 2002 puis en 2005, Larissa Diadkova est une nouvelle fois de la fête – on s’en réjouit ! Émission onctueuse, phrasés de rêve, présence qui brûle les planches, le grand mezzo-soprano confirme une captivante composition. Enfin, dans la lignée de son noble Titurel [lire notre critique du CD], l’excellent Dimitri Ivachenko incarne un Esprit du lac densément coloré, doté d’une indicible lumière jusqu’au plus grave du rôle, qualité révélant la bonté du personnage sans qu’il soit nécessaire de la souligner – sa complainte est pure merveille.
BB