Chroniques

par hervé könig

Rusalka
opéra d’Antonín Dvořák

Glyndebourne Festival
- 11 juillet 2019
Patricia Bardon est la sorcière dans "Rusalka" de Dvořák à Glyndebourne
© tristram kenton

Après la légende, avec La damnation de Faust de Berlioz hier soir [lire notre chronique de la veille], et avant le conte, puisque l’on verra Cendrillon de Massenet demain, c’est à la case mythe que ce jeudi fait halte, deuxième rendez-vous au Glyndebourne Festival. Depuis sa création à Prague, le 31 mars 1901, le plus célèbres des ouvrages lyriques d’Antonín Dvořák fut traité de toutes les manières possibles, au fil de l’histoire de la mise en scène d’opéra. C’est qu’il n’est pas si simple de plonger le public dans l’univers aquatique de Rusalka. La production que Melly Still signait à Glyndebourne en 2009 y est reprise cet été, pour la troisième fois.

L’option minimaliste consistant à faire nager des danseurs dans les hauteurs de la scène fait son petit effet – les mouvements sont réglés par Rick Nodine. Mais assez rapidement ces gesticulations deviennent exaspérantes, car elles détournent l’attention du vrai sujet. Le travail des lumières par Paule Constable fonctionne bien, sans prétendre faire rêver plus que cela. On dénombre beaucoup d’effets de théâtre, réalisés avec efficacité, mais qui ne remplacent pas une lecture plus globale de l’œuvre. En fait, il n’y a pas d’imagination profonde dans la démarche de Still [lire notre chronique de La petite renarde rusée], résumable au collage de moments plus ou moins violents, plus ou moins drôles, dans le décor très limité de Rae Smith. On y reconnaît cette tendance souvent constatée lorsqu’il s’agit de merveilleux : faire tout le contraire des didascalies donne l’illusion au metteur en scène de s’affranchir de l’œuvre, alors que c’est encore lui obéir et limiter sa liberté créatrice. Le résultat est aussi charmant que cette ondine se défaisant d’une culotte prosaïque pour se caresser bien visiblement afin de signifier au Prince la volonté de passer à l’acte. Le plus surprenant est que la négation de la poésie de Rusalka et l’inculture affirmée des mythologies slaves qui constituent son fondement n’évite pas, pour finir, le kitch le plus flagrant.

Le plateau vocal concentre ce que la soirée apporte de satisfaction. Vuvu Mpofu, Anna Pennisi et Alyona Abramova forment un bon trio de Nymphes sylvestres. On apprécie beaucoup aussi le Chasseur d’Adam Marsden, baryton très suave. Le ténor pointu de Colin Judson convient au Garde forestier [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Falstaff et A midsummer night's dream], très amusant d’ailleurs, de même que le mezzo charnu d’Alix Le Saux et sa franche présence servent la Fille de cuisine. La Princesse étrangère trouve en Zoya Tsererina le timbre fulgurant d’un soprano dramatique à gros moyens. La basse généreuse d’Alexander Roslavets campe un Vodník luxueux dont le phrasé est un bonheur. On retrouve avec plaisir l’alto puissant de Patricia Bardon en gitane inquiétante, Ježibaba haute en couleur [lire nos chroniques de Serse, Adriana Mater, Giulio Cesare in Egitto, Ariane et Barbe-Bleue et Radamisto]. Le jeune Brenden Gunnell est lui aussi de la partie, ténor héroïque qui transcende la partie du Prince [lire nos chroniques d’Oberon et La fiancée vendue]. Sa voix s’accorde idéalement avec le format de celle de Sally Matthews, qui n’en est pas à sa première Rusalka ; le soyeux et lyrisme du soprano britannique mène une incarnation de toute beauté.

Si le Glyndebourne Chorus offre des interventions irréprochables, on ne comprend pas vraiment ce que tente Robin Ticciati à la tête du London Philharmonic Orchestra. Le passage rapide de Berlioz à Dvořák y est-il pour quelque chose ? Difficile à dire…. Mais toujours est-il que l’insistance straussienne sur les trouvailles de timbres et sur les effets de masse pénalise les chanteur plus qu’elle ne les porte. Le chef trace un chemin expressif pertinent dans la partition, mais il oublie qu’il ne s’agit pas d’une symphonie. Dommage.

HK