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Chroniques
Rusalka
opéra d’Antonín Dvořák
Pourquoi s’encombrer de merveilleux lorsqu’un opéra inscrit son intrigue dans le merveilleux ? Se serait trop simple, sans doute. Pour la nouvelle Rusalka du Badisches Staatstheater de Karlsruhe, la metteure en scène Katharina Thoma [lire notre chronique de Tristan und Isolde] s’est interrogée sur la transmission d’une mauvaise expérience. Durant le prélude de l’œuvre de Dvořák, une scène tendre entre une jeune femme et un jeune gars, sous un abri de bus, est brutalement interrompue par deux voyous et se solde par un viol. L’acte commence ensuite sur une lande désolée, bordée par une étang, en vidéo (Torsten Repper). L’Ondin est en train de pêcher, tranquille, et les Esprits des bois le chahutent : ce sont des adolescentes turbulentes, en marge, sans doute en révolte. Quand il s’agit d’aller demander de l’aide à Jezibaba, la sorcière, tout s’éclaire : une vidéo montre que c’est elle qui autrefois avait été violée derrière l’abri de bus où maintenant elle habite. Les mises en garde n’y peuvent rien, Rusalka veut devenir humaine et vivre avec son beau prince. La scénographe Verena Hemmerlein invente un nouvel espace, froid et blanc, qui est le monde du Prince et des invités de la noce. Dans un aréopage tout de blanc vêtu, une violente tache rouge-sang : c’est la robe fièrement portée par la Princesse Étrangère. Le spectacle montre la différence sociale. Rusalka n’est pas du même bord que son amoureux et ce dernier, après s’être amusé, retourne dans sa caste. De retour à l’abri de bus et à l’étang, l’héroïne y découvre le trafic de stupéfiant de l’Ondin qui fournit les gamines du début, complètement dépendantes.
Si le Badisches Staatsopernchor n’est pas en reste au fil d’une prestation fidèle, la lecture de Johannes Willig [lire notre chronique du Prophète], à la tête de la Badische Staatskapelle dotée d’excellents musiciens, rend loyalement compte du raffinement et du lyrisme de la partition. Le soin de la dynamique définit une approche sensible qui porte la poésie à laquelle la mise en scène tourne le dos. L’écoute des voix est minutieuse, au service d’un bon équilibre entre le plateau et la fosse.
Uliana Alexyuk, Florence Losseau et Jasmin Etminan forment un trio d’Elfes efficace, impeccablement en place. Armin Kolarczyk incarne un Garde Forestier robuste [lire nos chroniques des Meistersinger von Nürnberg et de Star-Child]. La basse Vazgen Gazaryan assume un Ondin bien chantant et puissant qui génère une émotion certaine. D’un organe sonore à souhait, Barbara Dobrzańska campe une Princesse Étrangère idéale [lire notre chronique de La passagère]. Ayant à sa disposition un timbre d’une vaste palette expressive, le contralto Gundula Hintz livre une Jezibaba bouleversante qui s’intègre très bien à l’option de Thoma. Toujours parfaite quant à l’intonation, le soprano Dorothea Herbert domine la distribution. D’une ampleur dramatique, sa voix envahit l’assistance [lire notre chronique du fliegende Holländer]. On peut imaginer ce que l’artiste aurait pu donner dans une approche scénique moins radicale qui, tout de même, tire un peu les cheveux des chanteurs.
KO