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Chroniques
Salomé
opéra d'Antoine Mariotte
Il est toujours précieux de saisir les visions qu’ont deux artistes d’un même sujet, surtout quand elles sont proposées au public à quelques heures de distance. Créés la même décennie, Salome de Richard Strauss (1905) et Salomé d'Antoine Mariotte (1908) ont pour ossature un même texte d'Oscar Wilde, écrit pour le théâtre à la fin 1891. Carlos Wagner a recourt à une scénographie unique pour rendre sensible ces différences profondes : un escalier gigantesque conduit de la salle de festin en surplomb à la terrasse couverte de sable, et un large tube tronqué représente la citerne. Bien entendu, la mise en scène varie, à part certaines idées liées au personnage du prophète, comme son apparition angélique (et non christique, précise le metteur en scène), la trace de sa parole laissée sur le mur et son surprenant baptême de « la fille de Babylone ».
Après un Strauss conduit avec une expressivité dépourvue de violence par Friedemann Layer [lire notre chronique du 3 décembre 2005], l'Orchestre National de Montpellier s’attaque, aujourd’hui, à un autre style musical.
En effet, dès le prélude où l'inquiétude s'installe délicatement, on mesure ce que l'élève de d'Indy doit à l'impressionnisme de Debussy. À part les crescendo de cuivres sur ces évocations de César et des motifs orientalistes dignes de Shéhérazade pour la danse, le reste de l'ouvrage conserve une douceur de contrastes. Pas étonnant qu'à la création, on ait cité l'œuvre comme un exemple de bon goût, en référence à son aînée, accusée d'en rajouter dans la débauche ! Ici, tout baigne dans le clair de lune ; le rouge cède la place au noir, les Juifs libidineux à des serviteurs dansant sous la pluie avec un parapluie, et Salomé minaude gentiment pour attendrir le Syrien qui, peu avant son suicide, veillait dans la fumée de sa cigarette. La danse de la princesse – là où Manuela Uhl avançait les yeux bandés, allant jusqu'à disparaître derrière la citerne –est d'ailleurs plus conventionnelle, et sa mise à mort elliptique.
Kate Aldrich, mezzo au timbre voilé, possède des aigus puissants, des graves charnus qui font merveille lors du final, mais son personnage intéresse moins que celui développé la veille. Cette réserve n'est rien en comparaison du Iokanaan de Jean-Luc Chaignaud, délicat sur les pianissimi mais à la stabilité incertaine, aux nuances indigentes. Nous retrouvons Scott Wilde, promu de soldat à tétrarque, le page de Delphine Galou – décidemment voué à faire couler le sang –, et Julia Juon, au passé de wagnérienne, qui réjouit en Hérodias hiératique et persifleuse. Mention spéciale aux deux soldats du jour, Fabrice Mantegna – déjà remarqué pour son enregistrement de Saül [lire notre critique du CD] – et Cyril Rovery, particulièrement clair et sonore.
LB