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Chroniques
Salome | Salomé
opéra de Richard Strauss
Il est toujours précieux de saisir les visions qu’ont deux artistes d’un même sujet, surtout quand elles sont proposées au public à quelques heures de distance. Créés la même décennie, Salome de Richard Strauss (1905) et Salomé d'Antoine Mariotte (1908) ont pour ossature un même texte d'Oscar Wilde, écrit pour le théâtre à la fin 1891. Si l'un comme l'autre a respecté la langue française utilisée par l'écrivain, c'est une version parallèle du Bavarois qui passera à la postérité, s'appuyant sur une traduction qu’Hedwig Lachmann imaginait d'abord versifiée. D'un point de vue purement littéraire, cette mise en regard des ouvrages permet de souligner les différentes coupures réalisées par le premier compositeur – la captivité du frère du tétrarque, les lamentations du page, les diverses réactions aux présages, etc. – et les aménagements réalisés par le second, tels une présence amoindrie d'Hérodias ou la disparition des Nazaréens.
Carlos Wagner a recourt à une scénographie unique pour rendre sensible ces différences profondes : un escalier gigantesque conduit de la salle de festin en surplomb à la terrasse couverte de sable, et un large tube tronqué représente la citerne. Bien entendu, la mise en scène varie, à part certaines idées liées au personnage du prophète, comme son apparition angélique (et non christique, précise le metteur en scène), la trace de sa parole laissée sur le mur et son surprenant baptême de « la fille de Babylone ».
Chez Strauss, la sauvagerie s'affiche dès le lever de rideau, avec trois hommes en tablier de boucher dépeçant des quartiers de viande. Scott Wilde est un premier soldat puissant, mais un peu heurté ; Andreï Grabowski, le second, s'avère plus souple mais couvert par l'orchestre. Ténor brillant au timbre doré, Marcel Reijans incarne le jeune Syrien Narraboth, en livrée rouge de groom. Le page qui l'accompagne porte une veste identique, mais avec un tutu qui en souligne l'ambiguïté autant que la fragilité. Si Delphine Galou déçoit vocalement (problème évident de soutien), il faut saluer ses qualités de jeu. Outre une silhouette anguleuse et expressionniste habitée au mieux (avec ce crâne chauve, comme pour les Juifs alentours, qui rappelle tant le Nosferatu de Murnau), elle est effrayante de douleur au moment de l'assassinat du jeune capitaine, déguisé en suicide. Avec James Rutherford, Jochanaan nuancé, ample et à la diction soignée, Manuela Uhl forme un couple dramatique équilibré. Certes, le soprano manque parfois de legato, l'air final est laborieux, mais le timbre mordoré et le charisme compensent les défauts techniques. Qu'elle saute à cloche pied ou se mutile après la malédiction du prophète, c'est une gamine capricieuse qui découvre le pouvoir lié à son rang et à sa beauté... à qui sa mère frappe les fesses quand elle désobéit. Gerhard Siegel, enfin, est un Herodes sonore et nuancé.
Conduit avec une expressivité dépourvue de violence par Friedemann Layer – tendre sensualité sur la danse des sept voiles, tension prenante au moment de la décollation – l'Orchestre National de Montpellier s'attaquera, le lendemain, à un autre style musical.
LB