Chroniques

par christian colombeau

Sampiero Corso
opéra de Henri Tomasi

Opéra de Marseille
- 14 octobre 2005
Sampiero Corso d’Henri Tomasi à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

Le savions-nous ? Le nationaliste corse Sampiero Corso a un temps inspiré… Shakespeare ! Othello, Sampiero, même combat ?

Quelle vie tumultueuse que celle de cet insulaire mercenaire, patriote fervent, qui fut compagnon d’armes de Bayard ! Ombrageux, jaloux, mettant l’honneur au-dessus de tout – jaloux, on le serait à moins : sa femme Vanina d’Ornano, corse elle aussi mais d’origine noble, avait trente-cinq ans de moins que lui ! – Sampiero passait allègrement au service du plus offrant, Charles Quint y compris (le plus ancien adversaire), pour, sur terre comme sur mer, combattre Gênes alors maîtresse de l’île. Il est vrai que les Ligures supportaient difficilement son prestige et son titre de Colonel de l’infanterie corse au service de la France, au point de le faire emprisonner et de raser sa maison. Offense mortelle car, comme on dit du côté de Bastelica, « l’homme qui perd sa maison perd ses racines ». Après qu’il ait battu à plate couture les douze mille hommes d’Andrea Doria au Col de Tende, le 18 septembre 1554, la Corse fut rattachée à la couronne de France. L’exploit fut vain : deux ans après, le Traité de Cateau-Cambrésis restituait la Corse aux Génois. Insulte suprême, trahison du continent !Entre temps, nommé ambassadeur en Turquie par le roi de France lui-même, Sampiero laissait femme et enfants à Marseille. La donzelle, qui s’ennuyait un brin sur le Vieux Port, fut manipulée par Ombrone, un espion génois, au point de tout plaquer pour suivre cet intrigant, précepteur de ses rejetons – scandale !

Comme dans les meilleures productions hollywoodiennes, le Corse fit intercepter le navire qui amenait Vanina dans la capitale ligure, jugea sa femme, la condamna à mort et l’étrangla de ses propres mains. Le meurtre souleva l’émotion, même à la cour de France. Sans vergogne, le vieux lion ne renonça pas pour autant à sa lutte pour la libération de la Corse. La révolution embrasa l’île. Aux atrocités répondaient les massacres. Gênes, alliée à la famille d’Ornano, offrit une prime pour la tête du colonel. C’est donc tout naturellement que le terrible Sampiero Corso, héros définitif de l’histoire insulaire, tombe dans une embuscade à l’âge de soixante et onze ans. On livre son corps aux chiens. À ses meurtriers, dont trois cousins de sa propre femme, de se disputer sa tête et ses jambes.

Le livret originel de Raphaël Cuttoli, traduit en langue corse par Jacques Fusila, maître de conférences à l’Université de Corte, suit assez habilement la vie du héros. Si les deux fois quarante minutes de musique d’Henri Tomasi s’écoutent sans déplaisir, il est toutefois permis de penser que nous sommes ici en présence d’une fort belle musique de film, luxuriante à souhait, cuivrée à bonne dose. Les leitmotive qui parsèment la partition restent sympathiques, les ballets un rien envahissants (mais nécessaires, car folkloriques ou funèbres), le tout baignant dans un lyrisme populaire de bon aloi, avec chœurs à l’antique et hymne libérateur digne du final de Guillaume Tell.

On peut se laisser séduire par cette alternance de douceur et de violence finalement si proche du vérisme. D’autant que la mise en scène très cinématographique de Rénée Auphan se feuillette comme un agréable livre d’images – décors et costumes fort beaux du tandem Pichou/Duflot – qui nage presque toujours dans les lumières au scalpel souvent lugubres de Roberto Venturi, entre gris clair et clair obscur. Où est passé le soleil de l’Ile de Beauté ? Certains clichés sont amusants, ainsi ces deux petits vieux sur un banc, cannes en main, ressemblant à s’y méprendre à ceux d’Astérix en Corse, ou ces pleureuses gesticulantes – comme si rien n’avait changé depuis, les coutumes ancestrales ayant raison de tout.

Dans la distribution phocéenne ne cherchons pas le luxe vocal de la création bordelaise, cuvée 1956. Reconnaissons toutefois qu’Irina Mataeva (Vanina) projette avec finesse le souvenir de Desdémone d’une voix lumineuse et pure, et que la Voceratrice de Laurence Schohn est saisissante dans ces décisives interventions. Bien en place aussi l’Ombrone machiavélique de Sergeï Murzaev.

Nous gardions le meilleur pour la fin : physique de séducteur italien comme on n’en fait plus, le ténor Carlo Guido trouve un personnage à sa mesure dans le rôle-titre, après des flopées de Don José et de Cavaradossi trimbalés un peu partout en Europe. Constamment en scène (ou presque), solaire, avec un sympathique côté brut de décoffrage – il chante sur le capital, il le sait, mais devrait penser aussi aux intérêts –, débordant de vaillance et de générosité, le Niçois vous balance sans ombre d’orgueil les sept si naturels (sauf erreur de notre part) qui parsèment la partition. Encore apporte-t-il un travail scénique et une approche psychologique rares.

Dirigeant sans baguette, Patrick Davin, prend l’œuvre au sérieux. Refusant sans doute de n’être qu’un accompagnateur, il mène l’ouvrage comme une pièce de théâtre. Mais les fusées orchestrales qui émanent de la fosse noient souvent les solistes. Accueil très chaleureux du public, le soir de la première ; les corses étaient dans la salle… Vox Populi, Vox Dei !

CC