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Chroniques
Samson et Dalila
opéra de Camille Saint-Saëns (version de concert)
Après avoir quasiment déserté les scènes de l'hexagone, ces vingt dernières années, c'est à un retour en grâce de Samson et Dalila auquel le mélomane français assistera cette année. En effet, après Marseille qui propose l'ouvrage actuellement, Montpellier, Toulouse et enfin Paris accueillerons le chef-d’œuvre de Camille Saint-Saëns, cette saison-ci. L'on pourra juste regretter que les quatre villes n'en proposent qu'une version de concert, alors qu'il mériterait grandement les honneurs de la scène, tant la trame de l'histoire – dû à la plume de Ferdinand Lemaire d'après un épisode du Livre des Juges de l'Ancien Testament – pourrait, sous la houlette d'un metteur en scène inspiré (et doté d'un certain budget), ravir yeux et oreilles. Cependant, si par le passé l'opéra a connu les fastes de productions luxueuses et surchargées – notamment au Palais Garnier, avec plus de mille représentations –, c'est plutôt l'esprit oratorio de la version primitive de l'œuvre qui s’avère retenu aujourd'hui. Créée à Weimar en concert et en langue allemande en 1877, il faudra attendre 1890 pour qu'un théâtre français (Rouen) l'inscrive enfin à l'affiche dans sa version originale et scénique.
La distribution réunie par l’Opéra de Marseille, si elle était des plus alléchantes sur le papier, n'en a que plus déçu. Olga Borodina, quasi incontournable dans le rôle de Dalila qu'elle chante depuis vingt ans au quatre coins de la planète, est la première à nous poser un cas de conscience. Certes, la voix sonne toujours aussi ample et étoffée, gratifiant l’écoute d'une diction française et d'un phrasé quasi irréprochables, la beauté du timbre et l'absence de vibrato sont toujours aussi remarquables. On l'aura compris, les qualités vocales du mezzo russe ne sont pas à mettre en cause. Le problème est ailleurs : à aucun moment, tant dans le premier air, Printemps qui commence, que dans le célébrissime et (en principe) bouleversant Mon cœur s'ouvre s'ouvre à ta voix, l’auditeur n'est ému ; pas le moindre frisson. Statique, glaciale, inexpressive et comme lassée, elle ne convainc guère du pouvoir qu’est censé posséder le personnage, ensorcelant de séduction. Sur cette même scène et dans les mêmes conditions, soit en version de concert, Denyce Graves avait su, il y a dix ans, conjuguer splendeur vocale et sensualité ravageuse.
Tout autre est le cas de Torsten Kerl.Splendide Siegmund ici-même il y a trois saisons [lire notre chronique du 20 mai 2007], le ténor allemand est, cet après-midi, en évidente méforme. Dommage, car les qualités vocales de cet artiste que nous suivons avec le plus grand intérêt sont immenses. Il est indéniablement l’un des trois ou quatre meilleurs Heldentenor du moment. La musicalité, le métal, la séduction et la vaillance de son timbre, la fabuleuse projection, l'engagement de son jeu, toutes ces qualités qui sont sa marque lui font à plusieurs reprises cruellement défaut ici.
La meilleure satisfaction de la matinée survient du Grand prêtre de Dagon, Philippe Rouillon, impressionnant d'autorité et de projection vocale, exemplaire de diction. Dans le rôle du Vieil Hébreu, Wojtek Smilek fait preuve d'une belle noblesse de ton, riche en émotion ; sa ferme basse alliée à un chant très stylé lui vaut un bel accueil lors des saluts. Abimélech rencontre dans le baryton Nicolas Testé un interprète fort convaincant, d'une grande tenue.
En fosse, le fougueux Emmanuel Vuillaume obtient de fort belles sonorités de l'Orchestre de l'Opéra de Marseille, une louable caractérisation des différents climats et, surtout, un formidable impact dramatique. Les deux tubes orchestraux – la Danse des prêtresses et la Bacchanale -, bénéficient de tout le raffinement, la sensualité et l'exotisme orientalisant qu’on en attend. Une mention spéciale au Chœur maison, remarquablement préparé par Pierre Iodice.
EA