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Chroniques
Samson et Dalila
opéra de Camille Saint-Saëns
Le lever de rideau révèle immédiatement la vision expressionniste, parmi d'immenses tours mobiles noires, de grandes, sombres silhouettes aux bras pris en longue camisole, errant tels des oiseaux de mauvais augure sous le soleil, l'azur sourdant bientôt derrière un deuxième rideau de gaze. Gémissant, le chœur des Hébreux converge en lente procession éparse autour d'un corps comme abandonné, couché sur le côté et drapé d'une toge blanche, qui enfin se lève au milieu des chants. Par le lyrisme survient la naissance de Samson (censément entre les bords de l'Araba et de la Grande Mer) et, jusqu'à sa mort spectaculaire, le destin du héros sera bien retracé, dans toute sa force légendaire, au fil du plus connu des douze opéras de Camille Saint-Saëns.
Ainsi donné à nouveau à Metz en des temps justement orageux, Samson et Dalila est dans le droit chemin artistique de ses auteurs (Saint-Saëns et son jeune parent de librettiste Ferdinand Lemaire) de par la mise en scène épurée, mais encore pleine d'idées surprenantes, de Paul-Émile Fourny, également directeur de l'établissement. Le spectacle biblique prend parfois l'allure d'un péplum à la mesure de l'épreuve colossale traversée par Samson, dans les efficaces décors dansants du Slovène Marco Japelj pour cette coproduction avec l'Opéra national de Maribor (Slovensko narodno gledališče Maribor). Pourtant au cœur du drame musical, au duo passionné de l'Acte II, réside un sacré jeu théâtral – quand le fameux couple dessine, en pleine tempête lyrique, le point de fuite de leurs lignes d'amour. L’Orchestre national de Lorraine et le Chœur maison, respectivement dirigés par Jacques Mercier et Nathalie Marmeuse, signent le bel effet de prélude, au mieux plutôt tourbillonnant en voix et irradiant de sérénité en fosse. De la colère au recueillement, la foi de Saint-Saëns saisit l'âme et fait des miracles, tantôt wagnériens, notamment à travers le dialogue entre solistes et ensemble.
Samson, tenu par le ténor Jean-Pierre Furlan, garde souvent un air bravache propre au rôle, mais son cantabile, qui mène à l'extase général sur scène au premier acte, plaît beaucoup. Le plus émouvant d'une performance aussi animée qu'agréable est, naturellement, gardé pour la fin, avec l'arioso de la meule (Acte III). Face au nazir se dressent le coriace et savoureux satrape Abimélech, bien tenu par la basse Patrick Bolleire, puis, apparu devant un joli combat en ombres chinoises (lumières de Patrice Willaume), le Grand-Prêtre de Dagon, personnage vite rempli d'expressions à la fois barbares et justes grâce au baryton Alexandre Duhamel.
Les satisfactions lyriques fourmillent encore avec le doux Hymne de joie des Vieillards, la mise en garde de Samson par l'un d'entre eux, portée dans l'obscurité avec majesté par la basse Wojtek Smilek, le « parfum des roses » émanant des gorges des Philistines en si belle harmonie avec l'orchestre et introduisant la Dalila sombre, profonde et jubilante de Vikena Kamenica – attention, le Souffle du Seigneur, c'est bien elle ! Assez vite à l'aise avec le français, le mezzo albanais en robe satinée émeraude, signée Valérian Antoine et Brice Lourenço, trouve avec brio les couleurs, la rondeur et la prestance pour signer un superbe retour à Metz [lire notre chronique du 3 juin 2016]. Les trois airs de Dalila ne manquent pas de charme confiant, ni de beauté mélodique, et encore moins de puissance de séduction (particulièrement dans le contralto), sa volonté d'empire amoureux évoluant vers l'amertume ou la détestation.
Au terrible duo du II, la cantatrice rousse magnétise l'attention en se montrant à la fois conteuse maléfique et honnête amoureuse (« autant que toi, je l'abhorre », a-t-elle prévenu, dans un lyrisme si romantique qu'il remue ses plaies bien plus profond que ce petit verbe haineux, poésie banale à ne pas prendre au mot). L'immorale, l'apparente mangeuse d'hommes au lit de soie doré, est minée par le doute dans ce formidable climat musical d'appréhension rendant le duo si exceptionnel. Au terme de l'échange insensé, elle s'affirme moins distante de corps que touchante et délicate dans le chant, juste avant l'orage et la marque d'une fantastique tragédie.
Au terme de sa quête traversée de touches d'orientalisme très réussies, notamment pour toute la gracilité tullière du Ballet de l'Opéra-Théâtre Metz Métropole, sous la direction de Laurence Bolsigner-May, en une conclusion aussi violente que concise Samson ne trouve aucune issue dans un massacre qui ne prouve rien :
« Qu'avec toi je me venge, ô Dieu !
En les écrasant en ce lieu ! »
Que n'eût-il pu rester au temple de son sommeil éternel, l'esprit libre et fertile, préservé de quelque religieuse conférence des oiseaux totalitaire et ses sempiternelles lamentations adressées à son dépravant Dieu !
FC