Chroniques

par laurent bergnach

Sancta Susanna | Sainte Susanne, opéra de Paul Hindemith
A kékszakállú herceg vára | Le château de barbe-Bleue

opéra de Béla Bartók
Opéra national de Montpellier / Corum
- 28 avril 2009
Sancta Susanne, opéra de Hindemith, présenté à Montpellier
© marc ginot

Sancta Susanna clôt la trilogie de jeunesse débutée par Paul Hindemith (1895-1963) avec Assassin, espoir des femmes (1919) et Le Nusch-Nuschi (1920). Tandis que le dadaïsme s'empare lentement de l'Europe au lendemain d'un conflit des plus sanguinaires, le compositeur demeure encore sous l'influence de la poésie expressionniste et s'inspire d'une pièce d'August Stramm, publiée en 1914 – soit un an avant la mort de son auteur sur le front russe. Achevé le 5 février 1921, en moins de trois semaines de travail, l'ouvrage en un acte est présenté pour la première fois à Frankfurt le 26 mars 1922, dans le même climat de scandale qui accompagnait la création de la pièce en 1918. S'insérant dans une veine néoromantique proche de Strauss et regardant Debussy, l'argument a de quoi choquer par son audace, sinon par son contenu.

La nuit tombant sur la chapelle d'un monastère, Sœur Klementia vient tirer Sœur Susanna de sa prière extatique. L'odeur du lilas de mai pénètre par les fenêtres ainsi que les cris de plaisir d'une servante. Susanna souhaite lui parler mais la conversation s'interrompt lorsqu'un valet s'empresse de la ramener au dehors. Cet épisode d'abandon charnel rappelle à Klementia celui que connut Sœur Beata ici même, quarante ans plus tôt : « Elle a pressé son corps nu de pécheresse contre l'image du Sauveur crucifié… sans me voir. Elle l'a embrassé de ses bras blancs et luisants, et a couvert sa tête de baisers, de baisers, de baisers… ». Il n'en faut pas plus à Susanna pour suive l'exemple de Beata, mais à la différence de celle-ci qu'on a emmurée vive, elle refuse châtiment et confession.

Jean-Paul Scarpitta rappelle qu'avant l'hégémonie bourgeoise, il fut des représentations du Seigneur dénuées de toute pudeur : « Pendant près de deux siècles, un christianisme aujourd'hui oublié, admirateur de l'Antiquité, ne répudiait pas la chair mais célébrait au contraire, dans la beauté terrestre des corps, l'image du créateur et de sa splendeur céleste ». Fort justement, il oppose un monde de ténèbres et de superstition (brandir un crucifix d'exorcisme s'avère toujours ridicule) aux héritiers d'Adam et Ève, se découvrant dans la pureté et l'innocence d'un Eden d'enluminure – Matthias Droulers et Marina Boudra. En revanche, on est déçu par l'émission étroite de Tatiana Serjan (Susanna), doublée de soucis de placement, de même que par le chant plus large, mais au vibrato envahissant, de Karen Huffstodt (Klementia). Olga Tichina (Nonne âgée), aux graves musclés, s'en sort le mieux.

Les éclairages d’Urs Schönebaum jouent un rôle plus important encore dans Le château de Barbe-Bleue, l'autre opéra court de la soirée. Pour ce drame intérieur conçu par Béla Bartók (écrit en 1911, créé en 1918), le « mystère des consciences » (pour reprendre l'expression du metteur en scène) est rendu une nouvelle fois par le contraste : celui d'un plateau sombre et dénudé avec un ballet de lumière orchestré depuis les cintres (portes esquissées par un filet blanc étincelant, ribambelles de néons colorés, etc.) jouant sur la verticalité qui ouvre l'espace.

Le chant coloré du mezzo Nora Gubisch (Judith), celui évident et implacable de Willard White (Barbe-Bleue) font honneur à la partition. Dommage que la direction inégale d'Alain Altinoglu, souvent terne, parfois poussive, ne séduise pas tout autant.

LB