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Chroniques
Schubertiades II
De l’inspiration
Cette troisième journée des Schubertiades bourguignonnes est engagée, dès 10 heures du matin, par une conférence de Guy Mertens intitulée Schubert et l’Humain, suivie de Schubert et le jamais fini par Jacques Drillon, enfin La réception de l’œuvre de Schubert par Xavier Hascher. Ces abords périphériques trouvent dans la projection de Schubert in Sibirien, film imaginé et réalisé par Klaus Voswinckel (auquel l’on doit plusieurs monographies filmées de compositeurs - Jörg Widmann, Matthias Pintscher, Giorgio Battistelli, etc.) à partir du périple transsibérien du baryton Thomas Bauer [lire notre chronique de la veille] et du pianiste Siegfried Mauser une conclusion originale au Winterreise et une introduction non moins inattendue aux quatre concerts du jour.
Sans que l’on puisse, à proprement parler, la qualifier de moelleuse, la sonorité à la fois ronde et délicatement dessinée qui caractérise le jeu d’Alain Planès se garde de livrer les secrets de la Sonate en la mineur pour arpeggione et piano D821, jouée au violoncelle par Anne Gastinel, toujours aussi parfaitement précise quant à la hauteur, propre quant aux attaques, bref : qui ne souffre d’aucun des habituels défauts de ses confrères, autrement dit techniquement irréprochable. Le premier mouvement bénéficie d’un équilibre idéal des forces, dans une lecture extrêmement retenue, tout sauf lyrique. La qualité d’écoute entre les deux solistes conduit un Adagio élégant sans futilité - et même assez austère, il faut l’avouer. L’Allegretto est fermement ciselé, lui aussi sévèrement intériorisé, au point de pouvoir paraître manquer de cette sorte particulière de générosité des musiciens ; de plaisir, tout simplement.
C’est le complexe et ô combien génial Quintette en ut majeur pour deux violoncelles et cordes D956 Op.163 qui conclut ce goûter, un quintette dont le relief d’écriture est magnifiquement rendu par le violoncelle de François Salque qui mène le jeu par l’épaisseur, la profondeur, la tonicité, le grain et un vigoureux ambitus de nuances. Les autres membres du Quatuor Orfeo répondent à ce dynamique influx dans une vivacité volontiers contrastée, livrant des échanges vibrant de vie. Et l’on se surprend à penser alors qu’il n’en faut pas moins pour servir cette œuvre surprenante que l’auteur fit sortir du cadre chambriste, véritable petite symphonie qu’une audace harmonique particulièrement inventive, voire foisonnante, jonche de nombreuses embûches.
Les derniers mois vécus par Schubert sont musicalement les plus féconds et les mieux réussis, appréciation courante que ce quintette vérifie aisément. Tension en veille et lumière glaciale colorent l’Adagio, bientôt contrariées par la véhémence jouissive de la partie centrale ; la fin du mouvement survient dans la désolation des plaines humides peintes par Friedrich, des arbres nus, des ruines aperçues dans le fade contrejour d’un marécage. Le Scherzo fonctionne à l’envers : la danse, musclée mais non farouche, y est contrepointée par une plainte douloureuse, avant que l’Allegretto se joue, par les villages, de ces déambulations sylvestres et climatiques, dans cette inspiration toute simple qui fait la signature du compositeur. L’interprétation s’achève dans l’humeur annoncée, s’affirmant pleine d’esprit.
Rendez-vous avec Alain Planès à 20h, pour un programme regroupant Impromptus et Klavierstücke. D’abord l’Opus 90 avec un Allegro molto moderato à la sonorité infiniment travaillée, colorée, à l’inflexion éminemment poétique. À un Allegro assez ursin succède un Andante mosso judicieusement tourné vers Beethoven et Liszt – le passé et l’avenir. Planès chante l’Allegretto où, dans la même démarche, il laisse entendre Chopin et Debussy. Suivent les quatre Impromtus D935 dont le Premier paraît à la fois construit et inventif, sous ces doigts, parfois fantasque, même, traversé de maints bouleversements intérieurs. Allegretto raffiné, Andante tendre et frais puis robusteAllegro scherzando ne parviennent pas à masquer des dérapages malencontreux. Tout le problème est là : l’inspiration y est, dépassant cruellement une technique qui peine. Aussi les Klavierstücke D946 scellent-ils ce sentiment en certitude, des demi-teintes et clairs-obscurs peu fréquents transmettant une imagination sans pareille que la matière empêche d’atteindre les sommets qu’elle promet pourtant.
Comme hier, un Liederabend achemine l’auditeur vers la nuit. Nous entendons les mélodies éparses qu’un éditeur réunit sous le titre de Schwanengesang. Le Thuringeois Stefan Genz offre une pâte vocale immédiatement flatteuse, un chant séduisant à Die Taubenpost posé sur les accents attentifs du piano de Michel Dalberto, partenaire avec lequel il se produit régulièrement ici et là. Liebesbotschaft révèle cependant un grave un peu faible et, plus gênant, des attaques pianissimo systématiquement détimbrées – une façon de faire observable durant tout le récital. Au fur et à mesure, l’interprétation paraîtra plutôt limitée, voire chichiteuse, avec des piano précarisés et des mezzo forte ressemblant trop à des forte. L’intention musicale et poétique intervient dans les procédés convoqués comme sur le visage de l’artiste, mais reste au seuil de la voix, n’entrant jamais dans le corps du chant lui-même, de sorte que l’approche demeure superficielle. Indéniablement, ces lieder sont bien chantés, certes, sans plus.
BB