Chroniques

par bertrand bolognesi

Schubertiades III
L’interprétation radicalement violente de Michel Dalberto

Opéra de Dijon / Auditorium
- 24 janvier 2010
Le compositeur viennois Franz Schubert
© dr

Ainsi s’achève notre voyage d’hiver à Dijon – comme le suggère la fort belle affiche de ces Schubertiades arborée par la cité du chanoine Kir. Nous retrouvons Michel Dalberto qui met à son menu les trois dernières sonates du Viennois. Dans la Sonate en la majeur D959,il se lance par un Allegro qu’il rend nerveux mais jamais sec, un Allegro qui rebondit dans une accentuation d’une vigoureuse fermeté, au ton vertigineusement fragmenté par la succession des humeurs, dans une fièvre terrible, pour ne pas dire une hystérie tragique.

L’interprétation de Dalberto est radicalement violente, jouant tout aussi bien sur l’agressivité insensée de certains traits que sur l’alanguissement mélodique esquissé par la partition, sur la précision d’accords déferlants comme sur le savant halo pédalisé pour les motifs arpégés. C’est tout naturellement dans la fatigue émotionnelle que s’inscrit l’Andantino, rigoureusement sans espoir, si ce n’est celui d’un aparté central révolté – très lisztien, d’ailleurs –, effrayant de colère, peut-être de folie. La reprise pianissimo du motif initial jouit d’une couleur magnifiquement définie qui découpe sa dentelle dans la résonnance nauséeuse de la main gauche. Cela ne trompe pas : le public retient son souffle et c’est dans un silence absolu comme il s’en rencontre rarement que survient le Scherzo, bouleversant de contraste, désespéré jusqu’en son Trio faussement serein. Le Rondo dépose alors une drôle de lumière sur ces moments, agissant comme un baume sur ce quelque chose de malade que nous venons d’entendre.

Impératifs, toujours, les accords de l’Allegro qui appellent la Sonate en ut mineur D958 où se retrouve une même fièvre, brutalisant parfois le discours, brouillant les pistes narratives, armant le mal par le mal lui-même. La méditation sombre de l’Adagio paraît alors refuser d’approfondir le méandre, laissant surgir les contrastes comme malgré elle, la reprise, à peine apaisée, comme mise à l’abri par ses propres atteintes – Verwerfung ?...La course folle du Menuetto final poursuit ses propres interruptions, ses énigmes, les froncements de sourcil de son chant qu’elle porte au-delà du piano, frénétiquement malmené jusqu’à l’orchestre.

Cette impressionnante justesse d’approche de Michel Dalberto, osant l’impensable, se confirme dans le chant splendidement porté du premier mouvement de la Sonate en si bémol majeur D960, recueillie, secrète, discrète. Ténue, la pensée débordera bientôt, l’expression creusant la vague. Sans affèterie, infiniment concentré, l’Andante sostenuto se dresse, hiératique, déclinant une dynamique délicate en toute sobriété. La ciselure véloce du Scherzo s’avorte dans la lenteur du Trio, sculpté dans l’angoisse. Enfin, l’ultime Allegro ma non troppo, questionneur et susceptible, scelle le malaise commun à ces trois longues pages – « depuis maintenant onze jours, je n’ai rien mangé ni bu et je chancelle faiblement de ma chaise jusqu’au lit et refais le trajet en sens inverse » (lettre de Schubert, sept jours avant sa fin) -, fait génialement la synthèse du climat d’urgence, de peur, de colère et de mort de ce récital éprouvant.

En fin d’après-midi, après la Sonate en sol majeur D894, donnée dans une vision diamétralement opposée par Alain Planès, il appartient aux membres du Quatuor Orfeo de suspendre ces Schubertiades (que l’on espère réitérées la saison prochaine) par le dernier quatuor (en sol majeur D887). Rêverons-nous ensemble qu’en ce prestigieux auditorium s’élève, un certain soir de janvier 2011, unHirt auf dem Felsen où reprendre et approfondir le propos là où il fut laissé ?

BB