Chroniques

par bertrand bolognesi

semaine Jonathan Gilad

Théâtre du Châtelet, Paris
- 24 et 26 novembre 2003

Après une semaine de musique d’aujourd’hui avec S :i.c. [lire notre chronique des 19 et 21 novembre], le Théâtre du Châtelet propose de passer cette nouvelle semaine en compagnie du jeune pianiste Jonathan Gilad. Cet artiste de vingt-deux ans effectua une partie de ses études pianistiques au CNR de Marseille auprès de Pierre Pradier, avant d’aller suivre les enseignements de Leon Fleisher, Fou Ts’ong et Karl-Ulrich Schnabel à Cadenabbia, ainsi que de Dimitri Bashkirov à Salzbourg et Madrid. À onze ans, il remportait le prix spécial du concours Mozart de la Ville de Paris, l’année suivante le Grand prix de la Ville de Marseille et une médaille d’or en musique de chambre, le prix de l’Académie d’été de Salzbourg, ainsi que le premier prix du concours international Premio Mozart de Genève. Il enregistre aujourd’hui sous label Lyrinx.

Nous avions eu le plaisir d’entendre Jonathan Gilad dans un époustouflant Empereur dirigé par Okko Kamu à Lausanne en février 2000. Nous constations alors une énergie formidable, une technique à toute épreuve, un grand souffle et une tendance à marteler de bon cœur qui faisait figure de doux péché de jeunesse, bien pardonnable. Nous le retrouvions à Hanovre en octobre 2001, dirigé par Eiji Oué dans le Concerto en fa # mineur Op.1 n°1 de Sergeï Rachmaninov et remarquions avec soulagement qu’une musicalité plus délicate était venue, après deux ans, assouplir son jeu. Nous y reconnaissions une même fougue, une expressivité à fleur de peau, un engagement rare. Indéniablement, Jonathan Gilad est fait pour magnifier des pages concertantes, offrant un piano puissant, sonore, riche, parfois orgiaque.

Son récital de lundi s’ouvre avec la Fantasie und Sonate für Klavier KV 475/457 de Wolfgang Amadeus Mozart. Il s’agit en fait d’une sonate en trois mouvements précédée d’une fantaisie dans le même ton, soit un sombre ut mineur, écrite un an plus tard, en mai 1785. Le pianiste engage un lento lamentoso plutôt que l’Adagio indiqué, avec le mérite de parvenir à tenir et nourrir son choix jusqu’à la fin du mouvement. Une fidèle différenciation des frappes conduit une lecture soignée, qui peu à peu se perd dans le recours systématique à la pédale. La belle précision du début cède alors la place à une confuse glue, chaque trait se trouvant noyé dans une table mouillée de pédale, jusqu’à la suffocation – bien malin qui peut y distinguer quoi que ce soit ! Sentant bien le désagrément d’un tel excès, Gilad sur-contraste soudain son jeu, écrasant bientôt dans une effrayante brutalité tout mezzo forte en vue. Il aurait été plus simple de revenir à un jeu plus sec qui permît de ne rien ajouter à la partition elle-même. L’Allegro est littéralement martelé, avec une telle force que plusieurs accords, perdant toute mesure et bénéficiant d’une volée de coups qui ne compte pas, tombent tout simplement à côté. L’Andantino retrouve un dosage appréciable, pour mieux dégénérer dans un Più allegro d’un total mauvais goût et d’une navrante inexactitude.

Le jeune homme enchaîne la sonate par un Molto allegro nettement plus équilibré, dont la musicalité, enfin au rendez-vous, se voit contrée par quelques maladroits dérapages. Il semble que Jonathan Gilad rencontre en ce moment des soucis techniques : peut-être qu’un emploi prolongé et sans discernement de l’avant-bras finit par amputer la main de toute agilité... Il donne un Adagio assez intéressant, proche de la rigueur des premières mesures de la fantaisie, agrémenté d’un embryon de travail de couleur qui demanderait quelque approfondissement. Malheureusement, le dernier mouvement, Assai allegro – agitato, s’avère affreusement bruyant, semblant obéir, dès qu’il s’agit de jouer forte et rapidement, à une devise nouvelle et jusqu’alors inconnue : des pains, des pains, des pains, et même des brioches.

Ensuite, la Sonate Appassionata en fa mineur Op.57 n°23 de Beethoven. Évidemment, le jeu de Gilad convient plus à cette écriture. Avec une exigence de précision retrouvée pour l’Allegro assai, des phrasés parfaitement menés, une respiration naturelle, on goûte le premier mouvement comme l’hématome reçoit la bénédiction du baume. Mais attention : le pied est revenu et, après un nébuleux Andante incompréhensible, c’est un Allegro ma non troppo tonitruant. Les Midi musicaux ont lieu dans le foyer du Théâtre du Châtelet, non dans la grande salle ; le piano est seul et peut s’y exprimer sans crier : autant de considérations qui n’ont pas l’avantage de retenir l’attention du jeune homme, entendu mercredi dans un programme entièrement consacré à la musique de Schubert. L’exécution du premier des Impromptus Op.90 se révèle plutôt fidèle. Respect des indications, des différentes frappes, vrai travail de sonorité, et une tendance au chant plutôt bienvenue. Cependant, même travers par la suite : après quelques beaux passages, Jonathan Gilad oublie d’articuler sa pédale, voire de respirer, et se moque éperdument d’une notation piquée-liée certes difficile à réaliser mais possible (d’autres le font), ne nuance plus, agrémente le troisième impromptu de rubati d’une vulgarité épuisante, pour finir l’Allegretto comme une « cathédrale déglutie ».

Cela vous laisse supposer ce que put devenir la Wanderer-Fantasie D760 Op.15 ... Nous espérons sincèrement retrouver un Jonathan Gilad moins débordant, généreux à offrir le meilleur plutôt que le pire de son tempérament.

BB