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Chroniques
Semele | Sémélé
opéra de Georg Friedrich Händel
En confiant, pour le 250ème anniversaire de la mort de Händel, la mise en scène de Semele à Zhang Huan, la Monnaie, en collaboration avec la Fondation londonienne KT Wong, a réussi deux paris : susciter une curiosité indubitable pour un artiste chinois de renom et nous convaincre qu'exotisme ne rime pas avec melting-pot et compromission. On s'attendait à une formule iconoclaste, puisque carte blanche lui a, semble-t-il, été laissée. Les costumes aussi ont été confiés à un Chinois (Han Feng) et des chanteurs de la même contrée ont rejoint la troupe. Incontestablement, décor et costumes sont étonnants, l'essentiel se déroulant dans un temple Ming entièrement démonté et reconstitué à Bruxelles pour la circonstance, les étoffes rivalisant de soyeux et d'éclats dans un panaché de couleurs inhabituel – dont les combinaisons parfois inattendues sont affaire de goût.
L'ensemble de la démarche est particulier puisque, non content de diriger la production sur scène, Zhang Huan expose également un bouddha géant sur trois jambes qui trône devant le Théâtre de La Monnaie un mois durant. Notons que l'artiste s'est distingué dans son propre pays par un parcours provocateur, dans les années 90, avant de se tourner vers des œuvres à caractère théâtral et vers la sculpture monumentale. Son attrait pour Semele repose sur la même veine : « Mon unique raison de monter un opéra est que je ne comprends pas l'opéra, avoue-t-il. Je n'ai jamais compris ni écouté d'opéra », ce qui lui offrirait l'ouverture d'esprit pour « l'approcher sans cadre ni contraintes ». Voilà qui, assurément, ne pouvait laisser indifférent !
Autre surprise : la chanteuse kazakhe Aruhan, invitée par KT Wong, propose un intermède musical de Mongolie pendant l'entracte, comme s'il était, là aussi, nécessaire de combler un espace laissé vacant. Laquelle chanteuse viendra ensuite saluer sur scène pour la clôture de Semele ! Quel est donc son rapport à l'œuvre de Händel ? Mystère. Tout semble donc indiquer qu'il ne s'agit pas d'une production proprement musicale, mais d'une sorte de manifeste des traditions et cultures asiatiques porté par le militantisme (pacifique) de KT Wong.
Malgré l'excellent travail réalisé par le chef d'orchestre français (et claveciniste) Christophe Rousset, habitué des terres händéliennes – il fut notamment directeur musical du film Farinelli en 1994 –, à la tête des Talens Lyriques, et la performance des chanteurs, il n'est pas certain que l'œuvre sorte grandie d'une telle démonstration.
D'autant que Zhang Huan se fourvoie dans un travestissement de la trame dramatique qui laisse perplexe. Dans la scénographie, citons le recours à des lutteurs de Sumo en fin d'Acte II quand le chœur célèbre les dieux, dont la signification nous échappe (sinon pour faire écho à la force éternelle des Dieux ?). Ou bien la scène de séduction entre Sémélé et Jupiter (Acte II), rendue désespérément paillarde à grand renforts de couples copulant vertement dans tous les coins du temple, encore soulignée par les insistances d'un faux mulet en rut. Ou encore l'usage d'une baudruche gonflable et d'une pin-up à demi-nue qui semble figurer les désirs exprimés par le Dieu Somnus, en début du III. Pourquoi vouloir rendre l'expression des sentiments si brutalement explicite quand la musique et la performance des acteurs y suffisent largement ?
Heureusement, d'autres scènes sont plus inspirées : outre le choix judicieux du temple, la scène du miroir où Junon invite Sémélé à découvrir que la perfection de ses traits mérite l'immortalité nous offre sans doute un des meilleurs moments de la production. La mise en scène du troisième acte est d'ailleurs plus sobre.
Fameuse surprise, également, quant à la partition. Il semble que l'artiste chinois ait lui-même pris la liberté d’en supprimer les deux dernières scènes ! Disparaissent ainsi un air fameux par lequel Athamas accueille l'amour d'Ino avec soulagement (Despair no more shall wound me) et le chœur final célébrant l'amour divin, l'œuvre se clôturant sur la note douce-amère des prêtres qui invoquent le destin imposé par Dame Nature : les mortels ne sauraient devenir dieux. On conçoit que ce choix ait pu être concerté avec le chef d'orchestre ; Händel lui-même ne se gênait pas pour introduire ou supprimer un air. Mais n'est pas compositeur de cette trempe qui veut, et l'on peut sérieusement douter que l'auteur ait approuvé que le tout se termine par l'Internationale, musé par les prêtres vêtus en soutanes oranges qui emportent le cercueil rose-bonbon de Sémélé !
Heureusement pour la musique encore, et malgré un Athamas faible – le contre-ténor David Hansen –, les chanteurs s'en sortent assez bien, avec une mention particulière pour les Anglais – le ténor Jeremy Ovenden (Jupiter) et la mozartienne Sarah Tynan (Iris). Sans réussir à nous bouleverser, Ying Huang (Semele) se joue plutôt aisément des difficultés techniques qu'impose son rôle, et Nathan Berg est convaincant en Cadmus.
Finalement, malgré une expérience qui ne souffre pas l'ennui, on serait tenté de donner raison à la presse belge, en quête de sens : « Ah quoi bon ? », titre Le soir ; « Le tout fait-il sens ? Pas sûr : on est plus dans une juxtaposition de performances que dans la recherche du sens réel », raconte La libre Belgique.
CA