Chroniques

par hervé könig

Semele | Sémélé
opéra de Georg Friedrich Händel

Glyndebourne Festival
- 23 juillet 2023
"Semele" d'Händel au Festival de Glyndebourne 2023...
© richard hubert smith

Notre dernière soirée de l’été au prestigieux Glyndebourne Festival s’inscrit dans une mouvance baroque et préclassique avec la Semele conçue par Händel en 1743 à partir du livret livré par William Congreve au compositeur londonien John Eccles – le poète britannique a trouvé son inspiration dans un épisode des Métamorphoses d’Ovide ; l’ouvrage de son ami Eccles fut probablement achevé en 1706, mais une intrigue autour du Lord Chancelier empêchant la création initialement prévue au Queen's Theatre flambant neuf, il demeura méconnu jusqu’à ce que Julian Perkins le ressuscite par un enregistrement effectué en 2019 à la tête de l’Academy of Ancient Music et des chanteurs de la Cambridge Händel Opera Company pour le label discographique AAM (2021).

Avec la reprise à Lille, à l’automne, de la production berlinoise de Barrie Kosky et la récente première munichoise de celle de Claus Guth [lire nos chroniques du 11 octobre 2022 et du 20 juillet 2023], la version d’Händel est à l’honneur de la saison 2022/23 dont la page se tournera sous peu. Elle est ici royalement servie par Václav Luks, chef tchèque né en 1970, régulièrement salué dans nos colonnes [lire nos chroniques d’Officium defunctorum, I penitenti al sepolchro del redentore, Messe en si mineur BWV 232, Arsilda et Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem BWV 245] et qui se fait volontiers le champion de l’œuvre du Caro Sassone [lire nos chroniques de La Resurrezione HWV 47 et d’Alcina]. Plutôt que son Collegium 1704, l’artiste est, cette fois, aux commandes de l’Orchestra of the Age of Enlightenment, fondé en 1986. Une urgence dramatique caractérise cette interprétation trépidante, toujours au service des chanteurs, avec un continuo très fin – William Carter au théorbe, Joy Smith à la harpe, Jonathan Manson au violoncelle, Cecelia Bruggemeyer à la basse de viole et Jack Redman aux claviers (orgue et clavecin). La partie chorale est magistralement exécutée par les voix du Glyndebourne Chorus, préparées par Aidan Olive.

Pourtant, la soirée paraît longue, très longue…
Il faut dire que la mise en scène d’Adele Thomas fait concurrence aux meilleurs somnifères ! Principalement axée sur des questions de domination amoureuse et sexuelle, ce travail passe largement à côté des autres sujets de l’opéra. Sans embrasser la richesse de Semele et avec un sérieux digne du plus barbant des prêches, cette production focalise sur le destin d’une gamine d’une petite ville d’aujourd’hui – décor d’Annemarie Woods et costumes d’Hannah Clark – en prise aux promesses d’un puissant lubrique d’une classe sociale supérieure et aux réactions violentes de l’entourage de ce dernier, entourage enclin à un socioracisme appuyé. L’idée ne manque pas de cohérence, mais elle est trop réductrice pour tenir sur la longueur et pour accueillir l’ensemble de la dramaturgie, malgré l’apport considérable de la chorégraphie d’Emma Woods qu’assiste Robin Gladwin. L’absence de toute sensualité, voire de charme, n’aide pas à comprendre une héroïne séduite quand rien de sexy le justifie, sauf si l’aisance économique possède quelque vertu aphrodisiaque et si la donzelle est habitée par un désir arriviste qui viendrait remplacer l’orgueil de l’originale. Why not ?... Bref, on attend que ça se passe.

C’est en se concentrant sur les voix qu’on trouve plus sûrement son plaisir, même si le style général du chant n’est pas vraiment händélien. Le grave riche de Clive Bayley est mis au service de Cadmus et de Somnus, ce dernier avantagé par le grand sens du théâtre de la basse anglaise bien connue [lire nos chroniques de La petite renarde rusée, Gloriana, Das Rheingold, Die Walküre, The rape of Lucretia, Billy Budd, Roméo et Juliette, Don Carlo, Œdipe, Peter Grimes à Paris et Hamlet]. La pureté de timbre d’Aryeh Nussbaum Cohen, haute-contre remarquable, met en valeur le rôle d’Athamas. L’intensité du chant du mezzo Stephanie Wake-Edwards campe une Ino forte et attachante, au contraire de l’Iris ridicule, tout simplement, du sopraniste à peine audible de Samuel Mariño qui ne possède ni voix ni technique ni musicalité ni… rien, quoi [lire notre chronique de Silla] ! On lui préfère, et de beaucoup, la Junon furieuse de Jennifer Johnston dont la vocalité généreuse déménage [lire nos chroniques de Gawain, Il trittico et Peter Grimes à Munich].

Enfin, le couple-vedette est pour beaucoup dans le succès de l’entreprise. En Jupiter, on retrouve l’excellentissime Stuart Jackson qui tenait déjà le rôle à Lille (voir plus haut). La séduction du timbre et l’agilité du ténor, quasi coloratura, font merveille, mais plus encore, c’est l’art de la nuance qui amène le bonheur de tous [lire nos chroniques de Zaide, Johannes-Passion, La divisione del mondo, La fiancée vendue et Brockes-Passion] – franchement, ce costume de citron laqué était-il vraiment indispensable ?... Le rôle-titre revient au jeune soprano nord-américain Joélle Harvey dont la légèreté et la douceur sont des atouts.

Au revoir, Glyndebourne, où deux spectacles de l’édition 2023 furent grandioses [lire nos chroniques de Dialogues des carmélites et d’A midsummer night’s dream] – see you next year!

KH