Chroniques

par laurent bergnach

Semiramide | Sémiramis
opéra de Gioachino Rossini

Opéra national de Montpellier / Corum
- 26 novembre 2010
Semiramide de rossini dans la vision de Kirsten Harms à Montpellier
© marc ginot | opéra national de montpellier

Grande figure mythique de l’Antiquité, Semiramide (nom italien de Sémiramis) n’est pas du genre à se languir de l’arrivée d’un prince étranger, ni à laisser le pouvoir aux hommes. Si l’on se réfère au livret de Gaetano Rossi – lui-même inspiré par la tragédie de Voltaire créée le 29 août 1748 –, la reine de Babylone assassine son époux Nino pour régner seule, gardant son amant et complice Assur dans l’ombre. Mais voilà que le destin lui réserve un sort qui en fait l’égale tragique de Phèdre et Clytemnestre : elle tombe amoureuse d’un jeune commandant qui n’est autre que son fils Ninia, mis à l’abri quinze ans plus tôt par un père sentant le danger approcher. Pris entre le désir de vengeance de l’un et les invitations indécentes de l’autre, l’héritier finit par monter sur le trône après avoir accompli le sacrifice nécessaire à rétablir l’ordre.

Opera seria en deux actes, Semiramide est le dernier opéra créé en Italie – au Teatro de la Fenice, le 3 février 1823, durant le carnaval – avant que Gioachino Rossini gagne Paris. Il appartient à cette veine inaugurée avec Tancredi (1813), explorée en parallèle de l’opéra bouffe, qui ravive des traditions du siècle précédent. En réponse à ce modèle d’équilibre et de clarté qui perdure trois heures et demie, la Hambourgeoise Kirsten Harms offre aux protagonistes un espace cubique, sorte de musée high-tech où caméras de surveillance et extincteurs assurent la protection d’un Baal immense en métal précieux – espace dans lequel, à l’instar de la reine, les fameux jardins suspendus ne conservent pas longtemps leur superbe.

« Dans un opera seria de Rossini, écrit Philip Gossett, si la moindre fioriture ne blesse, ne caresse, n’exprime le désarroi ou n’éveille la joie, elle n’a aucun sens. » Autant dire qu’il faut de solides interprètes pour honorer la partition. La distribution de ce soir n’en manque pas. Dans le rôle-titre, Laura Aikin impose aisance scénique et évidence musicale. Si quelques notes de passage lui posent problème, la voix s’affirme brillante et concentrée. Quand il n’investit pas la scène à lui seul, se jouant avec aisance des vocalises, le mezzo sombre et musclé de Varduhi Abrahamyan (Arsace) lui répond dans un équilibre idéal. Annika Kaschenz (Azema) donne chair à un personnage dispensable.

Côté messieurs, Simon Orfila (Assur) se révèle un baryton-basse sonore, virilement granuleux, démonstratif tout d’abord, puis efficace à incarner les souvenirs et les fragilités d’un traître. Gesim Myshketa (Oroe) s’avère un baryton vaillant et ferme, non dénué de rondeur et de souplesse. David Alegret (Idreno) et Franck Bard (Mitrane) proposent deux visages de ténor : le premier inégal (tendu, métallique, étroit), et le second d’une couleur chaude, à l’articulation soignée. Fidèle défenseur de l’opéra italien, il revient à Carlo Kang de faire résonner l’ombra di Nino.

À la tête de l’Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, Antonio Fogliani aborde l’ouvrage avec une tendresse alerte, avant d’imposer sa lecture légère et élégante. Pour se mettre au diapason, les Chœurs locaux associés à des confrères bordelais (préparés respectivement par Nadine Leclaire et Alexander Martin), font preuve de nuance. Ce mardi 30 novembre, la retransmission en direct d’un troisième et ultime rendez-vous avec cette production de la Deutsche Oper de Berlin sera donc un beau cadeau fait à des maisons de retraite et aux chambres du C.H.U. de Montpellier.

LB