Chroniques

par irma foletti

Semiramide | Sémiramis
opéra de Gioachino Rossini

Opéra de Saint-Étienne
- 4 mars 2018
reprise de la Semiramide (Rossini) de Nicola Raab à l'Opéra de Saint-Étienne
© opéra national de lorraine

Ce n'est pas – loin s'en faut – la production de l'Opéra national de Lorraine, créée l'année dernière à Nancy, qui enchante le public stéphanois. Dans sa note d'intention, la metteure en scène Nicola Raab expose son parti pris, ou plutôt non-choix de situer l'intrigue « entre deux styles de l'opéra, c'est-à-dire le baroque et le début du XIXe siècle ». Comme résultat, un plateau noir dans une sombre ambiance, un escalier en colimaçon au milieu, une petite scène à droite avec éclairage en fausses bougies à la rampe, un miroir et un rideau qui montent et descendent de nombreuses fois. Les costumes de Julia Müer peuvent aussi bien évoquer le XVIIIe : robes à baleines ou à paniers pour les dames et Arsace, perruques pour tout le monde, Semiramide poudrée avec mouche sur la joue. La proposition est très théâtre dans le théâtre avec quelques éléments de machinerie, des cordages, des colonnes peintes (qu'on imagine babyloniennes) qui descendent des cintres sur le podium, vues par derrière à certains moments. Les maigres idées s’épuisent rapidement dans ce dispositif, avec des images en plein décalage avec l'œuvre rossinienne, voire ridicules, comme lorsque Semiramide traverse le plateau, vêtue de ses paniers, sans robe. À la fin de son air de folie, Assur finit par casser le miroir... tout ça pour ça !

Heureusement, les bonheurs vocaux sont plus substantiels, avec une remarquable association Semiramide/Arsace, rôles défendus par deux chanteuses françaises, chacune en prise de rôle. La première Semiramide de Karine Deshayes était, en effet, fort attendue. Tout en conservant des emplois de mezzo, voire de contralto (elle chantera La Cenerentola en juin prochain au Théâtre des Champs-Élysées), l’artiste aborda, ces dernières années, des rôles plus aigus. Ne serait-ce que dans le répertoire du Rossini serio, on se souvient du rôle-titre d'Armida, la saison dernière à l’Opéra national de Montpellier [lire notre chronique du 28 février 2017], avant I puritani de Bellini (dans la version Malibran toutefois) dans la même ville. Le timbre sonne avec somptuosité et ampleur, la puissance développée, plus évidente d'ailleurs sur la partie aiguë que dans le registre grave, conférant une belle autorité à l'ensemble des récitatifs. Les vocalises restent un point de faiblesse, pas toujours homogènes ni assez détachées. Certaines notes sont, en revanche, enflées de manière spectaculaire, un peu comme si elles devaient rééquilibrer les légères imperfections précédentes.

La très bonne surprise vient d'Aude Extremo en Arsace, chez qui les traits d'agilité paraissent bien plus déliés, même si la projection est moindre [lire nos chroniques du 27 juin 2009, du 26 juin 2010 et du 10 avril 2015]. Les impossibles cabalettes sont défendues avec panache et abattage, cette prise de rôle est une vraie révélation. La voix est pleine, capable d'extension vers l'aigu, et le soupçon de voile sur le timbre peut rappeler la couleur de Daniela Barcellona à ses débuts... une autre spécialiste des rôles travestis, qui fait une belle carrière depuis ! En Assur, Daniele Antonangeli dispose d'une souplesse vocale encore plus accentuée, mais il est bien dommage que la puissance ne soit pas un peu plus importante. La voix n'est pas spécialement noire, comme on l’attend pour ce rôle de méchant, et il évite aussi quelques graves extrêmes, mais la virtuosité est au rendez-vous. Le ténor Manuel Nuñez-Camelino est, en revanche, faible en Idreno, un format de tenorino… ce qui n’est pas forcément éliminatoire, on en a déjà entendu bien d’autres dans Rossini ! Les suraigus constituent son point fort, à tel point qu'il en ajoute par-ci, par-là, mais l'intonation est souvent imprécise, l’instrument peu stable et l’agilité hasardeuse. Il ne chante que La speranza più soave, tandis que son autre air de l’Acte I, Ah dov'è, dov’è il cimento, est supprimé, dans cette version où subsistent tout de même trois heures et quart de musique. Thomas Dear fait entendre des moyens certains en Oroe. Le timbre est peu séduisant mais convient finalement à ce personnage hiératique de grand prêtre. Mila Guliashvili, qui chante en coulisses, est simplement excellent en Ombre de Nino, et les très rares interventions de Jennifer Michel (Azema) et Camille Tresmontant (Mitrane) sont aussi bien en place.

La direction musicale de Giuseppe Grazioli est assez rapide, de manière générale, et les instrumentistes de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire font preuve, dès l’Ouverture, d’une concentration et d’un brio appréciables. Ceci est vrai en particulier pour les pupitres de bois où les soli de clarinette sont encore mieux maîtrisés que ceux de la flûte ou du piccolo. Les cors seuls, très exposés dans cette longue sinfonia, sont impeccables. Le chef se met aussi au service des solistes, pouvant ralentir, si besoin, la pulsation. Pour exemple, dans le duo Arsace-Assur du I, Bella imago degli dei, il cède légèrement sur les phrases d’Arsace, mais pas sur celles d’Assur. Le Chœur intervient avec vaillance, dans les nuances indiquées depuis le pupitre, mais pas toujours dans avec parfaite homogénéité. Ces petites réserves ne gâchent cependant pas l’immense plaisir d’avoir pu goûter – une fois de plus pour les passionnés de Rossini ! – aux beautés vocales et musicales de ce chef-d’œuvre absolu. Merci à l’Opéra de Saint-Étienne !

IF