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Chroniques
Semiramide | Sémiramis
opéra de Gioachino Rossini
Pour célébrer les cent cinquante ans de la mort de Gioachino Rossini, La Fenice met à l’honneur Semiramide, opéra seria en deux actes (inspiré d’une tragédie de Voltaire) qui fut créé dans ce théâtre le 3 février 1823. Parce qu’elle exige des artistes d’un très haut niveau et parce qu’elle ne peut se contenter d’une scénographie bon marché, l’œuvre n’est pas si souvent montée qu’on le croit. Pour ce faire, la maison vénitienne a fait appel à Cecilia Ligorio dont la presse italienne a grandement salué la mise en scène de Giulietta e Romeo de Nicola Vaccai, au Festival della Valle d'Itria (Martina Franca), cet été. Avec les costumes blancs de Marco Piemontese, elle concentre la cour babylonienne dans les ors de la reine, sans pour autant situer l’intrigue dans le temps. Dans un décor de hauts murs impressionnant, signé Nicolas Bovey, Ligorio construit une narration hiératique, d’abord sous une grande lumière presque aveuglante, pour le premier acte, puis dans un clair-obscur vraiment angoissant, au deuxième. Figure de proue d’une équipe de cinq danseurs (avec Olivia Hansson, Elia Lopez Gonzalez, Marika Meoli et Sau-Ching Wong), Daisy Ransom Phillips a préparé une chorégraphie efficace qui, comme la production, se garde bien d’imposer à l’ouvrage une lecture radicale.
Souvent félicité dans nos colonnes [lire nos chroniques du 27 février 2004, des 1er août et 17 décembre 2015, du 23 octobre 2016, des 29 avril, 14 août et 1er octobre 2017, enfin du 6 juillet 2018], Riccardo Frizza confirme la bonne estime où on le tient. À la tête des Orchestra e Coro del Teatro La Fenice, il mène une interprétation infiniment expressive. L’attention portée aux voix est particulièrement louable, le chef italien se révélant garant de la bonne marche du spectacle. Intelligence et sensibilité se conjuguent en sa battue, au long des quatre heures que dure la représentation, sans jamais fléchir, la tension dramatique le disputant admirablement au cantabile et à une musicalité exceptionnelle. Donné en version complète, sans aucune coupure, Semiramide profite des couleurs bien mises en valeur dans la fosse, au service de l’héroïsme romantique de la partition, comme des interventions d’un chœur vaillant, dirigé par Claudio Marino Moretti.
Je l’écrivais plus haut : Semiramide nécessite un cast rompu à toute épreuve vocale. D’un qui se plaindrait de celui de cette soirée l’on dira qu’il a dormi, qu’il est sourd ou de mauvaise foi ! Regardez donc les noms à l’affiche des quatre rôles principaux : Alex Esposito, Enea Scala, Teresa Iervolino et Jessica Pratt – qui dit mieux ?
Le Bergamasque Esposito s’est déjà illustré dans le rôle d’Assur lors du Münchner Opernfestspiele [lire notre chronique du 24 juillet 2017] : on l’y retrouve avec énormément de plaisir, la voix s’étant encore étoffée depuis. Il travaille très précisément l’impact dans le récitatif et déploie un timbre plein dans les airs. Le baryton développe un phrasé remarquable, doté d’un legato agile, puis les ruptures dramatiques dans le passage de la folie, emportant une incarnation somptueuse de ce personnage tout de noirceur. La carrière du jeune ténor Enea Scala est désormais bien engagée, il fallait s’y attendre, avec un tel talent [lire nos chroniques de Caterina Cornaro, Maria Stuarda, Armida, Le convenienze ed inconvenienze teatrali et Le duc d’Albe] ! Loin de rester au stade de la promesse, son Idreno, qui se joue royalement des difficultés techniques – l’un des rôles les plus dangereux du répertoire belcantiste, il faut le rappeler –, possède l’éclat, le charme, la bravura et la vigueur qu’on n’aurait osé rêver. Bravissimo ! indéniable rossinienne [lire nos chroniques du 28 octobre 2016 et du 10 juin 2017], Teresa Iervolino campe un solide Arsace d’un mezzo-soprano puissant, robuste, mais encore habile dans les moments de virtuosité. Bien qu’à peine trentenaire, elle parvient déjà à offrir à la ligne des nuances raffinées qu’on attend généralement de gosiers ayant plus de métier. Enfin, confier la redoutable partie de Sémiramis à Jessica Pratt n’a rien de risqué, tant le grand soprano cultive les indispensables atouts du rôle [lire nos chroniques du 26 avril 2009, du 25 novembre 2016 et du 6 juillet 2017]. Le timbre, c’est de la soie, la couleur entre taffetas et velours, le chant domine la scène, avec une coloratura épatante, la dynamique est exemplaire, sans oublier la présence qui en fait une vraie reine de théâtre !
Une des meilleures soirées lyriques de mon année, tout simplement.
KO