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Chroniques
Sergueï Rachmaninov en prieur
Vêpres Op.37, Liturgie de saint Jean Chrysostome Op.31
Il nous aura fallu le temps de la digestion pour, de cette soirée densément recueillie, métaboliser à la fois les riches sucs et le sucre – veau gras offert au fils prodigue peut-être un peu trop tôt revenu. La grande paix des Vêpres Op.37 de Sergueï Rachmaninov donnait le ton. L’accentuation souple du Priidite, poklonimsya (Venez adorons) ouvrit, dans la verticalité de l’écriture, l’espace d’une adoration tendre que ne démentit pas la légèreté sublime des ténors, la candeur aérienne des sopranos et le velours subtil des basses qui installèrent ensuite le Psaume 103 (Blagoslovi duché moïa Ghospoda – Bénis, ô mon âme, le Seigneur) dans un moment d’absolue délicatesse, n’était l’émission parfois un rien sourde de Joanna Dobrakowska. Le crescendo des alléluias du Blajen muj (Bienheureux l’homme) marquèrent la montée d’une exaltation toute musicale, d’une grande mesure et d’une parfaite exécution, sans toutefois que soit perceptible l’intention proprement votive de la pièce.
La direction très engagée de Laurence Equilbey, conjointe à l’extraordinaire instrument que formait l’association des deux chœurs – Chœur de Chambre Eric Ericson et Accentus –, nous donnait, certes, un très savant et très sensible moment de musique, mais que jamais ne toucha vraiment la ferveur toute religieuse de la liturgie. Ainsi du très touchant Bogoroditse Devo, raduissya (Réjouis-toi Vierge qui a enfanté Dieu – Ave Maria) ou de la belle douceur d’un Voskres iz groba (Ressuscité du tombeau). Servi par une attention soutenue aux mots et mesures de la partition, le recueillement parfois allègre de l’œuvre (réjouissances des unissons du Vzbrannoï Voïevode – Vierge souveraine) sut plaire, sans pourtant bouleverser. On notera l’intervention de Vladimir Miller, aux graves étourdissants, et la belle clarté de timbre de Romain Champion.
Des extraits donnés de la Liturgie de saint Jean Chrysostome Op.31, du même compositeur, il n’y a rien à dire de plus substantiel. La litanie toute de velours du Psaume 103, dont les moments de glorification se singularisèrent de l’impressionnante présence des basses, trouva répons dans la paix du Kheruvimskaïa pesn (Chant des Chérubins) et son alléluia moelleux. Quelques défauts d’attaques, plus nombreux à mesure de l’avancement de la soirée, ne parvinrent pas à nous détourner de la subtile intelligence déployée dans l’action de grâce d’un Tebe poem (Nous te prions), la supplique lente, précise et concentrée du Otche nash (Notre père), l’allégresse mélismatique du Khvalite Gospoda s nebes (Louez le Seigneur des Cieux) ou la verticalité finalement triomphante de l’œuvre (Budi imya Gospodnié – Béni soit le nom du Seigneur).
Au final, un travail dont la précision rhétorique et la haute musicalité compensèrent ce défaut de ferveur qui nous fit longtemps en chercher le goût véritable.
MD