Chroniques

par bertrand bolognesi

Shadowtime | Ombre du temps
opéra de Brian Ferneyhough

Festival d’Automne à Paris / Théâtre des Amandiers, Nanterre
- 26 octobre 2004
Shadowtime, opéra de Brian Ferneyhough au Festival d'Automne à Paris
© regine koerner

Depuis quelques années déjà, l'on sait que le composteur britannique Brian Ferneyhough prépare son premier opéra, sur l'exil et le suicide de Walter Benjamin, dans un petit port catalan français, en septembre 1940. Créée à Munich ce printemps, la première production de l'ouvrage est aujourd'hui reprise aux Amandiers dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.

On demeure relativement surpris par ce spectacle… Bien évidemment l’on retrouve la complexe subtilité d'écriture de Ferneyhough, dans une œuvre dont le livret fut écrit par Charles Bernstein. La musique est profuse, et même effervescente parfois, le rythme comme organique, tandis que les interventions chorales rappelleront certaines pages plus anciennes du compositeur. En experts, les Neue Vocalsolisten Stuttgart servent très précisément la partition, de même que les instrumentistes du Nieuw Ensemble d'Amsterdam, placés sous la direction de Jurjen Hempel. Mais un tel matériau aurait largement pu se passer de cette mise en scène.

D'ailleurs, peut-on vraisemblablement parler de mise en scène ?
Transformant la représentation en anecdote où s'accumulent les private jokes historiques et philosophiques, elle dessert complètement l'ouvrage par un salmigondis inepte qui le fait passer pour postmoderne, ce qu'il se garde bien d'être. Tout est sinistrement attendu dans cette impuissante tentative de Frédéric Fisbach qui se livre à un gentil catalogue d'idées reçues et de procédés élimés extrêmement pénible. Si, dans ses notes d'intention, il annonce l'abstraction, il se fourvoie en sens inverse, alourdissant chaque chose au point qu'elle en devienne exclusivement matière, le plus prosaïquement qui soit. Il y aurait éventuellement la genèse de Shadowtime : l'œuvre de Benjamin, évoquée avec la navrante superficialité d'une réclame. L'observation du parcours du compositeur pourrait également s'avérer fertile : pourquoi s'en préoccuper ? Et tout simplement Shadowtime en soi… Mais encore valait-il certainement mieux se servir et parler d'un soi inconsistant que de laisser naître l'œuvre. C'est en tout cas le sentiment que cette élucubration laisse à un public qui n'est jusqu'à présent pas réputé pour son manque d'ouverture d'esprit ni sa mauvaise volonté, et qui, toutefois, déserte les lieux.

C'est un réel problème : on sait comme il est difficile de pouvoir créer un nouvel opéra, et à quel point sa première réalisation est importante. Mais peut-être est-il parfois plus malaisé encore de pouvoir en présenter une nouvelle production assez rapidement. Shadowtime est donc aujourd'hui condamné à une association qui l'altère, jusqu'à ce qu'un autre metteur en scène mette tout son talent à le révéler. Aussi, attendons…

BB