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Chroniques
Siddharta
chorégraphie d'Angelin Preljocaj
Il est rare qu'un nouveau ballet attire autant pour le chorégraphe que pour le compositeur, et fasse la Une de la presse musicale. C'est ce qui vient pourtant d'arriver à l'Opéra Bastille, avec la création d'une chorégraphie d'Angelin Preljocaj sur une partition inédite spécialement conçue pour elle, signée Bruno Mantovani. Cela un an avant la création en ce même théâtre du second opéra du compositeur français, Akhmatova, qui sera mis en scène par le patron de la maison, Nicolas Joel. Pour Preljocaj, qui souhaitait un « ballet rock & roll sur Siddharta n'ayant rien d'un ballet Bollywood », Mantovani a travaillé sur une dramaturgie d'Eric Reinhardt puisée chez Hermann Hesse contant le parcours initiatique vers l'Éveil du bouddha Siddharta Gautama. Le résultat est une partition qui tient autant du grand poème symphonique que de la musique de ballet, avec quatre-vingt musiciens, dont une guitare électrique et une percussion fournie et très présente, singulièrement les peaux.
Il en résulte un long spectacle de plus de cent minutes sans entracte d'un classicisme inattendu de la part du chorégraphe, qui fait appel à cinquante danseurs qu'il fait courir en tout sens pour occuper le vaste plateau de Bastille orné par le plasticien Claude Lévêque d'objets gigantesques qui planent tels des fantômes au-dessus des danseurs ; boule de démolition en guise d'encensoir, maison victorienne virevoltant, forêt de pylônes, châssis de camion, lingots d'or, etc. Les étapes de la vie de Siddharta s'enchaînent en quinze tableaux plus ou moins statiques de mouvements de danses et postures convenus.
Mais, à l'instar du ballet de Preljocaj, la partition de Mantovani ne tombe pas dans le piège de l'exotisme, même si la percussion rythme naturellement les danses sacrales, tandis que la guitare électrique façon Eric Clapton ponctue les entrées de Siddharta. Cette musique séduit par la variété et la subtilité des idées, tour à tour heurtée, hurlante, tribale, puis soudain minimale et onirique, avec grands soli et tutti de bois, arabesques et mouvements bigarrés dans une forêt de bois étincelants à l'évocation de l'Éveil, et de cordes aux grondements étouffés. Cette fresque sonore ne craint pas les références à Stravinsky voire à Tchaïkovski, mais reste bel et bien dans l'esprit du compositeur, tout en s'avérant moins téméraire que l'impressionnante scénographie. Directrice musicale de l'Ensemble Intercontemporain, Susanna Mälkki, pour sa première apparition dans cette fosse et à la tête de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris, dirige cette épopée d'un geste précis et ferme, donnant indubitablement la quintessence d'une riche partition.
BS