Chroniques

par bertrand bolognesi

Siegfried
opéra de Richard Wagner

Budapesti Wagner Napok / Művészetek Palotája, Budapest
- 14 juin 2014
Wotan et les corbeaux : Siegfried au MÜPA, Budapesti Wagner Napok 2014
© gábor kotschy | művészetek palotája

Après quelques excès brûlants, toujours aussi intensément bleu le ciel caresse la capitale hongroise d’une température plus clémente (les 39° à l’ombre du milieu de la semaine ont raisonnablement baissé d’un quart) ; ainsi les aficionados arborent-ils sans crainte des enveloppes plus ou moins enluminées, au mitan de ce samedi après-midi tétralogique. Dans la fosse du Művészetek Palotája, Ádám Fischer fait une entrée vigoureusement acclamée par un public décidément conquis par sa lecture des premiers épisodes du Ring des Nibelungen.

À la tête d’un Magyar Rádió Szimfonikus Zenekará (Orchestre Symphonique de la Radio Hongroise) en parfaite santé musicale, le chef hongrois s’adonne en maître à sa passion wagnérienne, en initiateur positivement virulent du fort bon Budapesti Wagner Napok. Cuivres délicatement nuancés, bois subtilement colorés, cordes d’une suavité indicible, percussions idéalement impactées – quel orchestre ! Dès le thème noir du dragon s’impose une musicalité musclée, bientôt irrésistiblement tendre lors de l’évocation de l’enfance du héros. On admire l’élégance assez incroyable de la forge, la grâce du postlude de l’acte médian, la digne emphase de cordes du troisième. Avec un travail infini du moindre trait, un relief de chaque timbre et de tous les alliages, sans briser jamais l’élan dramatique, mais encore une respiration par moments plus étirée qui porte l’interprétation au delà des aléas du théâtre, ce Siegfried révèle incontestablement la plus belle fosse depuis le début du cycle [lire nos chroniques du 12 et du 13 juin 2014].

Le plateau vocal accuse un manque d’unité qu’il faut mettre sur le compte de la fatigue, en ce qui concerne l’Alberich d’Hartmut Welker, vibrato vertigineux et souffle parfois court, et Egils Silins en Wanderer, monochromie presque brutale et grave exsangue. À l’improbable Brünnhilde de Petra Lang on ne trouvera d’autre explication que son obstination à vouloir chanter un rôle qui ne convient pas à sa voix. Après un salut au soleil quasiment hurlé (« Heil dir, Sonne ! Heil dir, Licht ! »), le mezzo-soprano ne parvient pas à redresser son intonation, malmenant en force et en justesse comme en diction une partie qui ne saurait prendre – dommage…

On trouvera donc ailleurs à satisfaire son goût du chant. Avec le Mime vaillant de Gerhard Siegel, par exemple, nettement plus à son aise que dans Rheingold. Le ténor bavarois donne ici la mesure de ses possibilités et de son art. De même apprécie-t-on le charmant Waldvogel de Gabi Gál, fort agile, ainsi que la voix pleine d’Erika Gál, Erda solidement ancrée au sol. « Lasst mir schlafen ! » : c’est en lui-même que ce Fafner fait caverne, plutôt qu’en quelque repli sylvestre, servi par l’étonnant Walter Fink (Fafner jeudi, hier Hunding) qui propulse une basse luxueuse. Doté d’harmoniques graves dans l’aigu de la tessiture, mais aussi de la lumière spécifique de l’Heldentenor (un rien nasalisé dans les premiers pas), Jay Hunter Morris s’avère précis et très présent au fil d’une incarnation sensible. Son Siegfried fonctionne idéalement et fait grand impression, à l’instar de sa prestation new-yorkaise [lire notre chronique du 11 février 2012 et notre critique du DVD].

Grâce à la chorégraphie de Gábor Vida, la scénographie d’Hartmut Schörghofer gagne un nouvel élan. Ombres inquiétantes, deux corbeaux – danseurs avec une aile noire, dont l’un porte lance : les Raven de Wotan – hantent toute cette Journée. De même la scène de l’Oiseau, silhouette gracile en frac de concert, avec son sympathique numéro de clown (Siegfried et les cornistes, tous deux sur scène), fait elle son effet. La marionnette qu’anime Mime sous les yeux du héros « téléphone » gentiment le parallèle avec la mort toute fraîche du Géant. Quant aux images dans l’aquarium, elles ne sont pas toutes d’égale prégnance. On y croise un dragon de dessin animé qui fait glisser ses huit paires de pattes jusqu’à ce qu’une épée de petit garçon l’égorge – certes, l’illustration est à prendre au énième degré, mais tout de même… Par-delà le clin d’œil au théâtre via la création d’un rideau virtuel, le systématisme de l’homme rouge (Loge) paraît désormais alourdi, car décrypté. Du travail vidéo de Torge Moller et Momme Hinrichs (fettFilm), on se souviendra plutôt d’un drap blanc qui s’élève dans une voie lactée (final de l’Acte II) et de la nageuse qui de ses mouvements enveloppe Erda (début du III). Les secrets seront-ils clarifiés demain ?

BB