Chroniques

par irma foletti

Siegfried
opéra de Richard Wagner

Deutsche Oper am Rhein, Düsseldorf
- 29 avril 2018
Dietrich W. Hilsdorf signe le nouveau Ring (Wagner) à Düsseldorf (Oper am Rhein)
© hans jörg michel

À l’issue de cette représentation du troisième épisode de la tétralogie, on ne peut être qu’admiratif devant le niveau, tout aussi bien musical et vocal que scénique, du spectacle. La partition fait sans doute partie de l’ADN de la maison, mais tout de même, quelle musique, interprétée par les Düsseldorfer Symphoniker ! Le chef Axel Kober fait jouer franchement la formation, pour le plus grand plaisir des oreilles, sans doute au risque de couvrir le plateau, mais seulement à de brefs moments [lire nos chroniques du 21 avril 2014 et du 4 mai 2013]. Quasiment tous les musiciens seraient à détailler, depuis le cor solo (tenu par Quirin Rast) qui évoque de nombreuses interventions de Siegfried, en passant par le tuba qui marque le réveil du dragon Fafner, le merveilleux violon solo lorsque Siegfried imagine à quoi pouvait ressembler sa mère, la flûte pour l’oiseau, puis la clarinette, jusqu’au tapis collectif tissé par les cordes soyeuses.

La distribution vocale impose également le respect, en commençant par Michael Weinius dans le rôle-titre, doué d’une endurance à toute épreuve [lire notre chronique du 29 juin 2016]. Les graves sont d’abord très nourris chez ce chanteur qui a commencé ses études en tant que baryton, et le timbre dévoile encore plus de séduction dans ce registre du bas-médium. Quelques notes de passage sont plus discrètes, mais on retrouve la brillance de l'Heldentenor sur les aigus tenus avec vaillance, jusque dans son duo final avec Brünnhilde. Le Mime de Cornel Frey révèle lui aussi un formidable ténor de caractère qui peut rappeler celui d’un autre grand titulaire du rôle, Graham Clark. Les notes les plus basses, parfois presque parlées, constituent clairement son point de faiblesse, mais la densité du chant et de l’incarnation emporte l’adhésion. Toujours par ordre d’apparition sur scène, Simon Neal confirme, en Wanderer les qualités entendues à l’Opéra national de Lyon dans Der fliegende Holländer puis Die Gezeichneten [lire nos chroniques du 11 octobre 2014 et du 17 mars 2015]. La projection est vigoureuse et confère une belle autorité au Dieu des dieux. La voix de Jürgen Linn (Alberich) est profonde et caverneuse à souhait [lire nos chroniques des 28 juin, 1er et 2 juillet 2017], mais moins bien contrôlée que celle de son confrère basse Thorsten Grümbel, instrument parfaitement stable, qu’il soit sonorisé dans sa caverne, ou pas lorsqu’il en sort [lire notre chronique du 13 juillet 2013]. Le Waldvogel de Monika Rydz est plus corsé vocalement que réellement aérien, et Susan Maclean en Erda fait entendre un vrai joli timbre de contralto, quoique d’une ampleur limitée [lire nos chroniques du 15 août 2011 et du 13 mars 2017].

Le point faible de l’équipe reste la Brünnhilde de Linda Watson qui connaît parfaitement le rôle (pour l’avoir chanté notamment à Bayreuth il y a une dizaine d’années sous la baguette de Thielemann), mais dont l’usure des moyens pose problème après trente ans de carrière dans des emplois d’une exigence extrême. Les intentions sont généreuses et quelques notes enflées rappellent la grande wagnérienne, mais certaines attaques timides, une intonation imparfaite et les plus hauts aigus non atteints déséquilibrent le duo final… aux côtés de son Siegfried imperturbablement robuste et claironnant.

La production de Dietrich W. Hilsdorf donne envie de voir les autres volets : il a commencé par Das Rheingold en juin 2017 et terminera avec Götterdämmerung en octobre 2018, le cycle pouvant être vu dans son intégralité lors de la saison prochaine des opéras de Düsseldorf et de Duisbourg formant la Deutsche Oper am Rhein. Le rideau se lève sur une sorte de salle des machines – bâtiment industriel où l’on accède par une porte métallique avec hublot, Mime insère une cassette VHS dans un magnétoscope qui passe des extraits des deux épisodes précédents… du moins, c’est ce que l’on peut imaginer ! Mime et le Wanderer se poseront leurs énigmes assis dans des fauteuils de barbier, après l’arrivée de celui-ci à vélo, un grand voile blanc sur la tête et portant un sac en tissu marqué W. Il en sortira son casse-croûte et tentera de partager un verre de vin rouge avec Alberich au deuxième acte, puis avec Siegfried au troisième, sans succès. La réalisation comporte de petites références cinématographiques : en avant-scène à jardin, des affiches de Siegfried et son épée, extraites des Nibelungen de Fritz Lang, Mime qui, à l’Acte I, essaie d’apprendre la peur à Siegfried en se plaçant devant le projecteur, et dont l’ombre des doigts crochus peut évoquer Nosferatu de Friedrich Murnau. Alberich est un barbu roux en costume et chapeau noirs, un sosie de Van Gogh. Le dragon est une ancienne locomotive à vapeur qui avance sur ses rails depuis le fond du plateau. Le héros plonge son épée dans la machinerie, Fafner en sort terrassé, noirci par le charbon. Mime est tué un peu plus tard et suspendu à une chaîne, par un crochet dans le dos. Au dernier acte, Erda s’enfuit dans une riche robe de velours rouge, se cache sous un canapé (comme Cherubino dans Le nozze di Figaro !) et Siegfried découvre Brünnhilde endormie aux commandes d’un hélicoptère abandonné, pales et queue arrachés. Le jeu semble naturel et capte constamment l’attention.

Seul un cadre de scène imposant à l’avant du plateau, avec quatre séries d’ampoules tout du long, paraît sous-utilisé : quelques lumières vertes lorsque Siegfried s’allonge dans la nature, d’autres rouges qui s’allument à la mort de Fafner. On imagine que le dispositif dut être mis plus à contribution dans les deux ouvrages précédents ou le sera lors de la dernière journée… à vérifier !

IF