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Chroniques
Siegfried et l'anneau maudit
spectacle de l'Ensemble Justiniana
Année Wagner oblige, les projets se multiplient pour faire connaître le Ring à des publics pas forcément avertis mais de toute évidence concernés par sa portée dramatique et esthétique. Après Antoine Gindt, la mode de la réduction se plie aux exigences du spectacle Jeune Public grâce à la mise en scène de Charlotte Nessi et à l'ensemble Justiniana.
Bien sûr, élaguer une dizaine d'heures pour n'en garder que deux présente l'obligation impérative de toucher à la narration, en faisant disparaître plusieurs personnages ou en modifiant profondément de larges pans de l'histoire. Au final, on a la surprise de constater que ces interventions n'évacuent en rien le plaisir d'écoute et permettent aux enfants de pénétrer au plus profond du contenu émotionnel de la partition. Le projet a ceci de séduisant et de spectaculaire qu'il ne se présente jamais comme une démarche simpliste et caricaturale. Le style heroic fantasy de certaines scènes retient efficacement l'attention du jeune spectateur mais le livret, même réduit, est bel et bien présent – dans sa complexité même et ses incongruités. On se surprend soi-même à découvrir un public si jeune suivre dans le détail ces histoires incompréhensibles pour un grand nombre d'adultes leurrés par leur propre « culture ».
L'absence du personnage de Loge est un vecteur percutant à débarrasser l'action de ses scories narratives et contourner l'obstacle du regard ambigu porté sur la moralité des dieux et la portée philosophique trop difficile à saisir telle quelle.
De toute la Tétralogie, c'est bien entendu L'or du Rhin et ses nombreux épisodes fantastiques qui fonctionnent le mieux (enfants et parents confondus). Les scènes de transformation sont magistralement réussies, notamment grâce à un procédé de projection d'images non dénué d'humour. La mise en scène a ceci de séduisant qu'elle ne ment pas aux enfants auxquels elle s'adresse : c'est là une des clés de ce succès. Fritz Lang et Tolkien rejoignent Wagner à de nombreuses reprises, jusque dans la présence effective de deux acteurs nains, géniaux de composition et de caractérisation émotionnelle. On voit les géants sur leurs échasses, le dragon, l'ours de Siegfried, les filles du Rhin, etc. Le visible est merveilleux et envoûtant, à la hauteur de l'universalité de l'œuvre.
Signalons que la réduction de l'effectif instrumental à seize musiciens produit un effet au delà de toute espérance. L'oreille avertie goûte avec plaisir l'intelligence des coupes et les rapports inédits qui se créent dans la rencontre de tel ou tel leitmotiv. L'engagement de Marius Stieghorst (assistant de Philippe Jordan) est remarquable d'intensité et de clarté du geste. La battue ne se relâche à aucun moment, on est véritablement au plus près de la vérité d'une musique dont on peine à croire qu'elle tient en haleine petits et grands durant près de deux heures complètes. Le spectacle poursuit sa route en province la saison prochaine. À ne manquer sous aucun prétexte.
DV