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Chroniques
Sillages joue Jean-Luc Hervé,
Javier Torres Maldonado et Karlheinz Stockhausen
Vibrations, c'est le titre du concert de l'ensemble Sillages concocté par son directeur artistique Philippe Arrii-Blachette : vibrations des cordes sur l'archet avec le quatuor de Javier Torres Maldonado et celles du tam-tam sous l'action des interprètes dans Mikrophonie I – rarement donnée, l'œuvre culte de Karlheinz Stockhausen est à l'affiche de cette soirée... qui réserve d'autres surprises en matière de vibrations.
Prier le public de patienter derrière la porte d'entrée jusqu'à la dernière minute présage quelque préparation des lieux et autres artifices scéniques. Apparemment, rien de tel dans l'espace de l’Église Saint-Merri, si ce n'est le plateau déplacé vers le bas de la nef et le violoniste déjà là lorsque les auditeurs sont conviés à s'installer. Horizons inclinés (Cacconia) de Jean-Luc Hervé débute par un solo de violon – éblouissant Lyonel Schmit à l'œuvre. L'écriture exigeante évolue par étapes vers les régions lumineuses de l'instrument, avec des références avouées à la Chaconne de Bach – accords, bariolages et insistance sur un ré, jusqu'à ce que le soliste soit relayé (aux deux tiers de la pièce) par une douce et agréable rumeur qui monte du sol, telle une germination sonore. C'est le lieu même qui semble ici vibrer « par sympathie », comme on le dit d'une corde. À la source, quelques dizaines de petits haut-parleurs, cachés sous les pieds du public, animent le terrain, occupent l'espace (champ de pizzicati) et génèrent une matière linéamentaire qui se résorbera progressivement jusqu'au silence des lieux.
Pour le Quatuor à cordes n°2 du Mexicain Javier Torres Maldonado, les interprètes investissent le plateau principal, à la croisée de la nef et du transept. L'œuvre d'envergure en trois mouvements s'origine dans un flux énergétique charriant une matière aux textures parfois proches de la saturation, qui explore les différents registres des instruments. Pour ce Voyage en posture ondulatoire, les archets exécutent un mouvement rotatif sur la corde, frottée tout à la fois par le bois et le crin. Le deuxième mouvement – Dans le nuage de soie et de cristal – contraste par une écriture plus soliste et ciselée, avant une nouvelle investigation au sein des seize cordes sur différentes techniques de pizzicati. Dans l'acoustique généreuse de l'église, la projection constellatoire est du plus bel effet. Magnifiquement conduit par les musiciens, le troisième mouvement réamorce l'énergie avec une puissance expressive nouvelle (des textes de Vicente Huidobro sous-tendent l'inspiration du compositeur) jusqu'au geste final, très enlevé.
L'installation du grand tam-tam et de tous les ustensiles (baguettes, gomme, brosse, papier, métal, mégaphone et autres « objets trouvés ») qui vont agir sur la plaque de métal résonnante nécessite un entracte. Mikrophonie I requiert trois couples d'exécutants : deux percussionnistes (Hélène Colombotti et Maxime Echardour), deux microphonistes (Ève Payeur et Vincent Leterme) – le microphone accède au rang d'instrument de musique ! – et deux musiciens à la console pour le réglage en direct des filtres et potentiomètres (Jean-François Charles et Stéphane Sordet). Car l’œuvre est, avec Mixtur, une des premières expériences de transformation live du son réinjecté dans les haut-parleurs. Et si l'outil technologique a considérablement évolué depuis 1964, cette page quasi historique a gardé tout son pourvoir de fascination. Pour cette auscultation sonore du tam (gratté, raclé, frotté plus que percuté) avec des précisions sur le geste et les parties de l'instrument à investiguer, les interprètes fort investis ont une partition où Stockhausen [photo] a tout noté, y compris la place et le mouvement des micros. La part d'aléatoire est laissée à la console. C'est à cette expérience sonore dans l'instant et in situ qu'est convié le public, invité à « écouter en découvreur », comme le préconise notre rêveur d'inouï.
MT